Zanele Muholi et le long combat d’une nation arc-en-ciel
Autrice: Beverly Andrews
Cette année, l’imposant musée londonien Tate Modern met en valeur le travail saisissant de la photographe sud-africaine Zanele Muholi, artiste qui se revendique lesbienne. Occupant plusieurs pièces de cette immense usine reconvertie en salles d’exposition, les œuvres touchantes de Muholi sont un témoignage important de la résilience des LGBTQ+ noirs en Afrique du Sud, communauté qui a dû lutter pour sa survie face à une culture profondément conservatrice et homophobe. D’ailleurs, on retrouve cette persécution dans la première salle de l’expo grâce à des photographies poignantes tirées des premiers travaux de Muholi datant de 2002. Ces photos intitulées « Half the Picture » montrent des survivants d’agressions haineuses.
Bien que l’Afrique du Sud ait été le premier pays du monde à inscrire les droits des gays dans sa constitution, de nombreux Sud-africains sont restés attachés aux croyances traditionnelles. La nation arc-en-ciel voulue par Nelson Mandela n’a pas vaincu certains préjugés. Les LGBTQ+ ont subi de nombreuses attaques de la part de ceux et celles qui perçoivent les relations entre les personnes de même sexe comme une aberration, un comportement non africain, une atteinte à l’identité africaine. Dans cette partie de l’expo, on y voit des photos de femmes portant des cicatrices de machette, des portraits de victimes de « viols correctifs », terme utilisé par certains Africains pour désigner un viol dont l’objectif est de « corriger le comportement d’une femme ».
Défier un système patriarcal
Ces photos témoin de la violence homophobe et celles illustrant la résilience des homosexuelles sont accolées ; on découvre de beaux portraits de couples lesbiens dans leur espace privé, ou dans un abri qui leur offre une intimité. Ces photographies visent à défier le regard patriarcal qui domine souvent les femmes (de surcroît la femme noire) et considère l’hétérosexualité comme la norme.
Le travail de Muholi remplace cette vision par une approche sensible et surtout féminine. Muholi déclare à ce propos : « depuis l’esclavage et le colonialisme, des images de nous femmes africaines ont été utilisées pour reproduire l’hétérosexualité et le patriarcat blanc et […] il est difficile de nous visualiser telles que nous sommes réellement dans nos communautés respectives ». Elle poursuit en déclarant : « nous occupons l’espace public en tant que lesbiennes afin de nous permettre d’y accéder. Nous effectuons une transition dans cet espace pour nous assurer que les corps trans noirs en font également partie. »
Ainsi les clichés intitulés Brave Beauties (les beautés courageuses) pris à partir de 2014 sont des portraits de femmes transgenres non conformes et non binaires. Beaucoup de ces femmes photographiées sont également candidates à des concours de beauté. Elles y participent afin de changer les mentalités car beaucoup d’amateurs de ces événements sont les premiers à harceler les femmes trans. Ainsi ces images défient-elles les stéréotypes et les stigmates transphobes.
Muholi travaille également collectivement avec un grand nombre de collaborateurs qui sont membres de la coopérative Iankanyiso, voulant dire « lumière » en IsiZulu la langue maternelle de Muholi. Le mentorat et le partage des compétences sont la pierre angulaire du travail de la photographe.
À cette fin, l’exposition fait par de témoignages de trans-activistes dont celui de Zenzi Zungu, qui s’auto-identifie comme homme trans et qui, en dépit de nombreux obstacles, est aujourd’hui apôtre à l’église évangélique Victory Ministries Church International, une institution religieuse « gay friendly » où chacun est libre d’adorer Dieu comme il le souhaite, peu importe son orientation sexuelle. Zenzi Zungun encourage les membres de la communauté LGBTQIA+ à rejoindre cette congrégation. Il déclare que la plus grande joie pour les membres est de voir « les gens se stabiliser, se marier, fonder une famille, adopter des enfants et gagner le respect de la communauté ». D’ailleurs, les adeptes comptent réaliser leur plus grand rêve en possédant un lieu de culte permanent où les exclus pourront se réfugier et y rester jusqu’à ce qu’ils puissent se débrouiller seuls.
La dernière salle d’expo s’intitulant « Somnyama Ngonyama » est époustouflante. Elle est composée d’une série d’autoportraits de Muholi qui font tourner l’objectif de la caméra sur eux-mêmes. Ces portraits sont traités à l’aide d’une technique spécifique qui permet à la photographe d’accentuer le contraste entre la lumière et l’obscurité, produisant au final des photos qui accentuent le teint de la peau noire, une façon de se réapproprier le « regard ».
Texte traduit et adapté par Pierre Scordia. Version anglaise
form-idea.com Londres, le 17 juillet 2021.