Eurovision

La victoire de Jamala à l’Eurovision avec sa chanson 1944 pousse les médias à s’intéresser au sort tragique des Tatars de Crimée. On reparle de la déportation de 200.000 Tatars par Staline et des persécutions qui sévissent aujourd’hui contre eux. On rappelle que les Russes utilisent les mêmes méthodes d’intimidation que dans le Nord Caucase. Les arrestations, les tortures, les disparitions et les meurtres ne sont plus rares en Crimée. Le conseil des Mejlis a été dissous. On parle de déportation hybride en référence à la guerre hybride de Poutine dans l’Est de l’Ukraine. 15.000 Tatars se sont réfugiés en Ukraine. Certains sont poursuivis pour terrorisme islamique et pour être membre du mouvement panislamique, Hizb ut-Tahrir, interdit en Russie depuis 2004 mais toujours légal en Ukraine. Même si certains Tatars tentent de travailler avec la nouvelle administration russe (le mouvement Kyrym),  la grande majorité des Tatars perçoivent les Russes comme des envahisseurs et restent confiants que la Crimée rejoindra l’Ukraine un jour ou l’autre.

Une année plus tard, The Economist consacre un papier sur l’Eurovision et les relations russo-ukrainiennes. En interdisant à la candidate russe (handicapée) de franchir le sol ukrainien – parce qu’elle a contrevenu à la loi ukrainienne qui défend le droit d’entrée à toute personnalité qui promeut l’annexion de la Crimée à la Fédération russe – l’Ukraine provoque une crise diplomatique. En fait, cette interdiction arrange les affaires de la propagande russe qui a fait des Ukrainiens des monstres, défendant à une handicapée de chanter à Kiev. The Economist ironise en disant que cet argument est plus facile à rapporter que de dire la vérité : que les Ukrainiens n’aiment pas voir leur pays être démembré par un voisin plus fort.

De même, cette petite tempête diplomatique fait les affaires du gouvernement à Kiev qui peut ainsi détourner l’attention sur les ratés de la Révolution.

Dérapages et succès

Les lois mémorielles

Les Français vont s’intéresser particulièrement aux lois mémorielles qu’ils réprouvent dans l’ensemble parce qu’elles ne font aucune distinction entre le nazisme et le bolchévisme. Dans Causeur, sous la plume d’André Markowicz, on qualifie avec ironie l’Ukraine d’état en devenir démocratique, occidental et anti-russe, où paradoxalement, toute remise en question de la nouvelle vérité historique, perçue comme mensongère, est passible de prison. On ne comprend pas qu’on puisse mettre au même niveau l’Union soviétique et l’Allemagne nazie. Selon l’auteur, il n’y a pas eu de Treblinka sous Staline. Certes, il y a eu le Holodomor, mais ce n’était pas un génocide contre le peuple ukrainien, mais une réaction contre une révolte paysanne refusant la collectivisation. Selon Causeur, ces lois sont établies pour détourner l’attention de la crise économique et de la misère de la population, résultant des exigences d’Angela Merkel. Il faut absolument trouver un ennemi. On assiste ici au triomphe absolu de Poutine, nationaliste russe, qui fait exactement la même chose, mais en beaucoup plus grand.

Mediapart qui se situe aux antipodes politiques de Causeur, est très critique également à l’égard de ces nouvelles lois mémorielles, dont Odessa en est devenu l’emblème avec la statue de Dark Vador remplaçant celle de Lénine. On dit que l’historiographie développée depuis très longtemps dans l’ouest du pays – qui ne  fait la moindre distinction entre le caractère criminel des régimes nazi et soviétique – est désormais à Kiev. L’Ukraine suit le même processus que les pays de l’Europe centrale dans les années 90. On note que les Ukrainiens nostalgiques de l’URSS qui lui ont donné leurs meilleures années de leur vie sont marginaux aujourd’hui. Ils ne représentent que les retraités. Pour Laurent Geslin et Sébastien Gobert, ce sont Vladimir Poutine et sa guerre hybride dans le Donbass qui d’une part, ont unifié l’état ukrainien et d’autre part, ont accéléré l’ukrainisation de l’historiographie.

On dit que l’Ukraine a toujours eu un complexe d’infériorité face à l’historiographie russe. Elle ne peut pas ignorer la logique biologique du développement. Face à pays ravagé par une crise économique sans fin, saigné par une corruption endémique et par une classe politique prédatrice, les lois mémorielles paraissent comme une façon de distraire les Ukrainiens. Cette question sur les lois mémorielles est facilement mobilisatrice.

En conclusion, on se pose la question si l’invention d’une nouvelle mythologie pourra rassembler les citoyens dans un projet national ? Selon Mediapart, l’identité ukrainienne existe déjà, que l’on parle ukrainien ou russe. Ce sont les échanges économiques et la prospérité de la population qui contribueront à une nouvelle façon de vivre ensemble.

L’interdiction des réseaux sociaux russes

Les Britanniques condamnent l’interdiction des réseaux sociaux russes en Ukraine. Cette mesure populiste est une entrave à la liberté d’expression car les plateformes russes telles que VKontact ou Odnoklassniki ne menacent pas l’état ukrainien. Bien au contraire, VKontact a permis de faire circuler les photos prouvant la présence militaire russe en Ukraine. Ces réseaux permettent aussi des échanges entre les populations vivant des deux côtés du front. C’est une mesure inefficace et antirusse qui permet au Président en perte de popularité de préparer sa prochaine campagne électorale de 2019. Même chose en France où le Courrier International reprend un article publié dans Ekonomitchna Pravda dans lequel on comprend certes la notion de propagande russe mais où on s’inquiète de voir l’émergence d’une cyberdictature, à l’instar de la Chine, de la Corée du Nord et de la Russie.

Néanmoins, dès le début de conflit, la BBC mentionne que les journalistes ukrainiens, quoiqu’antirusses, sont plus modérés que leurs confrères russes et que les voix dissidentes ont leur droit d’antenne en Ukraine.

 

La corruption

Dans un article du 25 mai 2017, le magazine britannique The Economist souligne encore que l’Ukraine figure parmi les pays les plus corrompus de l’ex-Union Soviétique et que la fraude est endémique surtout dans l’approvisionnement des ministères et des compagnies nationales. Cependant, il mentionne un certain succès dans la lutte contre la corruption dans le ministère de la santé quand celui-ci a fait appel aux services d’une agence internationale  (en l’occurrence britannique) pour lui fournir en achats de médicament. Le ministère a fait une économie de 38% par rapport à l’année précédente et cela malgré la mauvaise volonté de certains fonctionnaires.

Avec le conflit qui reprend de l’ampleur dans le Donbass, la lutte contre la corruption risque de baisser. Déjà des hommes et des femmes politiques cherchent à discréditer le centre d’action anti-corruption. Le Figaro et Le Monde mentionnent aussi les meurtres du journaliste Cheremet et de l’ex-député russe Denis Voronenkov à Kiev, montrant que l’Ukraine reste encore un pays gangréné par les mafias ukrainienne et russe.

Kiev, nouveau centre culturel et politique en Europe

Pour finir sur une note positive, le 31 août 2016, The Guardian consacre un article sur le renouveau culturel à Kiev (Kiev’s new Revolution: young Ukrainians spur cultural revival amid the conflict). Selon le journal anglais, Kiev est devenue un bouillon de culture où créativité artistique et entreprenariat sont en plein boom. Les jeunes kiéviens n’ont plus peur, ils se sentent libres et ceci constitue la plus grande victoire de l’après Maidan. Quant au journal Libération, on mentionne que Kiev est devenue une sorte de Mecque à l’opposition russe, avec la venue de nombreux opposants russes et l’ouverture d’une Maison de la Russie Libre. Toutefois, on note que beaucoup Ukrainiens désirent une coupure totale avec la Russie.

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