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Les Philby : une famille d’agents doubles

Auteur : Rinaldo Tomaselli

Jack Philby (1885 – 1960)

De Ceylan à Cambridge

Toutes les époques ont eu leur lot de gens exceptionnels avec de formidables idées, une intelligence au-dessus de la moyenne et des capacités d’adaptation hors du commun.

Généralement en avance sur leur temps et vues comme des intrus, ces personnes se sont frayées un chemin au milieu de la masse et des États qui n’étaient pas prêts à accepter leur conception des choses. Quand des gouvernements les mettaient au banc de la société parce qu’ils n’étaient pas dans les cases, la plupart du temps ils se vengeaient en se servant de leurs dons. C’est ce que firent les Philby, père et fils à l’égard de la bonne société anglaise.

Harry St John Bridger Philby, dit Jack Philby était né le 3 avril 1885 à Badulla, une ville au centre du Sri Lanka, à 230 kilomètres de Colombo, la capitale. Fils d’un planteur de thé, il eut une très bonne éducation en Angleterre, à Westminster d’abord, puis à Cambridge où il étudia les langues orientales. C’est là qu’il devint ami avec Jawaharla Nehru qui fut plus tard un célèbre indépendantiste indien. Il apprit l’ourdou, le baloutche, le pendjabi, le persan et l’arabe.

De Lahore au Proche-Orient

Ses connaissances des langues vont l’amener à Lahore en 1908, où il sera dans la fonction publique pour le gouvernement colonial britannique. Il se maria en 1910 avec Dora Johnston qui lui donnera quatre enfants, dont un garçon, Harry Adrian Russell dit Kim, le 1er janvier 1912 à Ambala dans la province indienne du Pendjab.

L’administration britannique finit par ne plus fermer les yeux sur les frasques sexuelles de Philby et le congédia. En 1915, il fut recruté par les services secrets britanniques comme agent à Bagdad. Officiellement il était responsable des finances dans l’administration britannique, mais sa mission était d’encourager la révolte des Arabes contre le pouvoir ottoman tout en préservant les intérêts de la Grande-Bretagne qui avait déjà investi massivement dans les champs pétrolifères de Bassorah. La politique anglaise était de favoriser le chérif de La Mecque, Hussein bin Ali, mais Philby préféra le chef des Wahhabites, Ibn Saud.

Fervent antisioniste, il travailla pour la cause arabe lorsqu’il fut nommé chef des services secrets en Palestine sous mandat britannique en 1921, en collaboration avec Thomas Edward Lawrence (le fameux Lawrence d’Arabie). Leur mission était de favoriser la famille Ibn Saud pour l’unification de la péninsule arabique, tout en protégeant les voies de navigation pour les Britanniques entre le canal de Suez, Aden et Bombay.

En 1924, Philby fut contraint de démissionner après avoir comploté avec Ibn Saud contre l’immigration juive en Palestine. Il se lança alors dans le négoce à Djeddah et devient le conseiller personnel d’Ibn Saud dans la politique à suivre face à la Grande-Bretagne. En 1930 il se convertit à l’islam et prit le nom de Sheikh Abdullah.

 

Dès 1932, Philby négocia avec les compagnies pétrolières américaines pour le compte des Saoudiens, minant ainsi les intérêts britanniques dans la péninsule arabique. Les accords commerciaux avec les Américains seront suivis d’une alliance politique durable entre États-Unis et la dynastie Saud. En 1937, Philby organisa la livraison de pétrole saoudien à l’Allemagne nazie via l’Espagne où il avait trouvé pour son fils Kim, un poste de correspondant pour le journal Times.

Exil à Beyrouth

Après la mort d’Ibn Saud en 1953, Philby critiqua ouvertement son successeur, ce qui lui valut un exile au Liban où il vécut un moment avec son fils Kim quand celui-ci était espion pour le MI6 (services secrets britanniques) à Beyrouth. Sa mission était notamment d’espionner son père. En 1955, Jack Philby retourna vivre à Riyad. Lors d’une visite à son fils à Beyrouth en 1960, il mourut d’un arrêt cardiaque et fut enterré dans un cimetière musulman de la capitale libanaise.

Jack Philby ne pardonna jamais à l’administration britannique d’avoir mis un terme à sa carrière dans la fonction publique. Lorsqu’il avait été recruté par le MI6, Philby se vengea en trahissant la politique britannique au Proche-Orient tout en s’opposant à la création d’un foyer juif en Palestine et en divulguant des informations secrètes à Ibn Saud. Il favorisera des partenariats économiques avec les États-Unis contre les intérêts britanniques. En Angleterre, beaucoup se souviennent de lui comme un traître et aussi d’un fervent antisioniste.

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BIOGRAPHIE DE KIM PHILBY (fils de Jack Philby – photo couverture)

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