LA PRISE DE FOUGÈRES PAR LES ANGLAIS EN 1449
Pour assurer leur présence en Normandie, les Anglais se servent de mercenaires pour prendre la riche ville de Fougères afin de faire pression sur le nouveau duc de Bretagne, François 1er, pour qu’il s’allie avec eux ; un stratagème qui se révèlera désastreux pour l’avenir de la France anglaise.
Le mauvais stratagème anglais : la prise de Fougères
Les militaires anglais en poste en Normandie élaborent avec l’accord de certains membres du conseil royal d’Henry VI un stratagème qui a pour objectif de forcer le duc de Bretagne à s’allier à l’Angleterre et à libérer son frère Gilles, désormais prisonnier pour trahison. Dans cette entreprise, les Anglais prennent deux précautions pour que la trêve anglo-française soit préservée : d’une part, ils mentionnent le duc de Bretagne comme vassal du roi d’Angleterre sur leurs documents de la trêve anglo-française de Lavardin, d’autre part, ils remettent le commandement de l’expédition militaire à un mercenaire aragonais, François de Surienne, ayant pour mission de prendre et d’occuper la riche ville de Fougères. Confier la tâche à un mercenaire servira d’alibi. L’historien Bossuat estime que le duc de Suffolk aurait proposé cette mission à Surienne vers la fin de l’année 1446.[1]
La prise et le sac de Fougères sont largement traités tant par les historiens français que par leurs homologues britanniques car les conséquences de cette aventure tragique seront la reprise des hostilités entre la France et l’Angleterre et la perte des possessions anglaises sur le continent, à l’exception notoire de Calais. De nombreux documents d’origine ainsi que des chroniques concernant cet évènement sont conservés aujourd’hui.
Le 24 mars 1449, la ville de Fougères qui se situe dans les marches de Bretagne est attaquée de nuit pour les huit cents hommes de François de Surienne. L’effet de surprise évite tout combat et toute résistance de la part des Fougerais qui assistent au sac de leur ville. Le butin, estimé par les Bretons à deux millions d’écus, est aussitôt expédié en Normandie et en Angleterre.[2] On comprend mieux ainsi pourquoi Surienne entreprend cette expédition punitive contre Fougères, ville faisant partie du domaine ducal depuis peu, connue dans la région pour sa grande richesse.[3]
Les pillages sont une pratique assez courante au Moyen-Age, même en temps de trêve, cependant celui-ci se distingue des autres par son ampleur et par ses fins politiques. Les ambassadeurs français décrivent cette prise en ces termes :
« … Francoys Larragonnoys, chevalier, qui est du grant conseil du dit prince nepveu, de lordre de la Jarretière, aiant charge de gens et de places soubz icellui prince nepveu, acompaignie de grant nombre Danglois, a prins damblee la ville et le chastel de Fougieres, appartenants a monseigneur le duc de Bretaigne, le quel, ensemble ses pais et sbgiez estoient, et sont nommement comprins, pour la part du roy, es dites treves. Et laquelle ville, et ailleurs en plusieurs endroiz du pais de Bretaigne, ont este faiz et commis par les ditz Anglois sacrileges, meurtres, larrecins, boutemens de feux, viole femmes, prins et rancoune prisonniers, et tous autres maulx qui en temps de guerre se peuent commettre, que es piteuse chose à raconter. »[4]
Au grand étonnement de François 1er, Surienne refuse de remettre la ville aux autorités bretonnes et les Anglais, quant à eux, font la sourde oreille face aux plaintes des ambassadeurs bretons et français, prétextant qu’ils ne sont aucunement responsables des faits et gestes de l’Aragonais[5] et que cette histoire est de toute façon une affaire intérieure entre Henry VI, roi d’Angleterre et roi de France et son vassal le duc de Bretagne, François 1er.[6]
Il est pour le moins curieux que les Bretons soient surpris par le sac de Fougères et que la ville ait été laissée sans protection alors que le duc savait que les Anglais renforçaient leurs troupes en Basse-Normandie, il avait d’ailleurs pris certaines mesures pour renforcer la sécurité des frontières.[7]
Culpabilité du gouvernement anglais
La culpabilité du gouvernement anglais dans l’affaire du sac de Fougères est indéniable.[8] Dans l’ensemble, historiens français et britanniques s’accordent à ce sujet.[9] Ils abondent dans le même sens que la conclusion de l’enquête menée en 1449 par le chancelier de France, Juvénal des Ursins, qui met toute la responsabilité de la fin de cinq années de paix en France sur le compte de l’Angleterre.[10]
Les historiens britanniques Keen et Daniel ont bien analysé et synthétisé l’affaire de la prise de Fougères en un court article de dix-sept pages intitulé «English Diplomacy and the the Sack of Fougères in 1449 ».[11] Dans leur exposé, ils utilisent principalement les sources recueillies par Morice, par Stevenson et par Rymer, ils se réfèrent aussi à l’enquête de Juvenal des Ursins, aux chroniques de Basin et de Bouchart et aux recherches des historiens français Bossuat et Bourdeaut. Selon Keen et Daniel, la complicité, voire la participation, du gouvernement anglais dans la prise de Fougères est manifeste. Elle l’est pour huit raisons :
- La première conspiration contre François 1er organisée par Gilles de Bretagne et par le gouvernement anglais qui avait pour dessein de contrecarrer le courant francophile à Nantes en forçant le duc à céder un puissant apanage breton à son frère.
- L’attaque surprise contre la Bretagne succède à deux autres événements qui ont affaibli considérablement la position stratégique des Lancastre dans le nord de la France : la restitution du Maine à la France et l’arrestation de Gilles de Bretagne.
- Le mauvais tour joué aux Français par les Anglais lors du renouvellement de la trêve du Mans, où la mention de l’inféodation du duc de Bretagne au roi d’Angleterre implique théoriquement que les Valois ne peuvent plus intervenir dans la politique bretonne, même dans le cas d’une expédition militaire anglaise dans la péninsule armoricaine.
- La concentration des troupes anglaises en Basse-Normandie. Elles étaient auparavant dans le Maine.
- Surienne refuse la somme considérable de 50.000 couronnes que lui propose François 1er en échange du retrait de ses mercenaires de Fougères. A ce propos, dans le recueil de documents publié par Stevenson, nous trouvons une lettre de Surienne adressée au roi d’Angleterre dans laquelle l’Aragonais affirme toute sa loyauté envers Henry VI, précisément en refusant la rançon offerte par le duc de Bretagne.[12]
- La réticence des Anglais à négocier la question de la prise de Fougères avec les Français.
- Les nombreuses contradictions émises par le duc de Somerset et les ambassadeurs anglais qui qualifient successivement le sac de Fougères d’affaire étrangère, d’affaire intérieure et d’expédition punitive contre les actes de piraterie bretonne.
- François de Surienne n’est pas qu’un mercenaire aragonais, c’est aussi un membre du Conseil en Normandie et encore plus compromettant un chevalier l’ordre de la Jarretière (Knight of the Garter). Il reçoit la plus haute distinction royale en 1447, donc peu de temps avant l’incident de Fougères. Comment un homme aussi bien placé à la cour d’Angleterre aurait-il pu agir aussi indépendamment sans l’aval du conseil royal ? Pourquoi le roi se serait-il risqué à ordonner un mercenaire téméraire et imprudent ? Ainsi ne fait-il plus aucun doute que Surienne est bien à la solde de la couronne anglaise.
Notes de l’auteur
[1] Bossuat, A. Perrinet Gressart et François de Surienne, agents d’Angleterre. Paris, E. Droz, 1936, 311.
[2] Bourdeaut, A, « Gilles de Bretagne entre la France et l’Angleterre », M.S.H.A.B., 1 (1920), 53-145, 107.
[3] Fougères devint entièrement bretonne en 1427, l’année où le duc d’Alençon dut la vendre au duc de Bretagne afin de pouvoir payer sa rançon aux Anglais. Blanchard, t. vi, 189-190 & 205-206, t. vii, 199-201 ; Lewis (1985), «Exortation faicte au Roy », t. ii, 420. La ville devint prospère à partir de la deuxième moitié de la guerre de Cent ans avec l’essor de son industrie textile pour laquelle Fougères devint célèbre, notamment pour les fabriques d’étoffes de laine. L’argent généré par les activités mercantiles faisait de Fougères la ville idéale à prendre. Le butin potentiel à en tirer amena Surienne à prendre cette place plutôt que Montauban, Vitré ou Laval (Laval est une cible parce que le comte de Laval était l’ennemi de Gilles de Bretagne). Bossuat, 311-315. Les chroniques insistent sur la prospérité de Fougères. Voir Thomas Basin, Histoire de Charles. C. Samaran (éd.), Paris, « Les Belles Lettres », 1933-1944, t. 2, 71 ; Basin-Quicherat, Histoire des règnes de Charles VII et de Louis XI par Thomas Basin, iv, 295 ; Jean de Saint-Paul, Chronique de Bretagne de Jean de Saint-Paul, Chambellan du duc François II, 58 ; Berry, Les Chroniques du Roi Charles VII, 388 ; Chartier, Chroniques de Charles VII, ii, 60 ; Escouchy, Chronique de Matthieu d’Escouchy, i, 154 ; Prétensions, Pretensions des Anglais à la Couronne de France, Anstruher (éd.), Londres, Roxburghe Club, Shakespeare Press, 1847. 106.
[4] Joseph Stevenson (éd.), Letters and Papers illustrative of the Wars of the English in France during the Reign of Henry the Sixth, King of England. Londres, Longman, 1861, 2 vol., i, 249-250. Le sac fut un véritable désastre pour la ville, Après sa libération en 1449, le duc accorda une franchise à Fougères. Jean Kerhervé, L’État breton aux 14e et 15e siècles. Paris, Maloine, 1987, 2 vol., i, 93 & 95 ; Arthur de la Borderie, Histoire de Bretagne. Mayenne, Imprimerie manutention, 1906, t. 4, 356.
[5] Berry, 289 ; Bertrand d’Argentré, Histoire de Bretagne, Paris, 1668, 3e éd. (1e éd. : 1588), 924. Par ailleurs, Somerset certifia aux émissaires bretons et français qu’il avait défendu aux garnisons anglaises en Normandie de secourir Surienne. In Joseph Stevenson (éd.), Narratives of the English Expulsion from Normandy. Rolls Series, 1863, 419.
[6] Stevenson (1863), 422-424.
[7] Dès le début de l’année 1448, François 1er fit surveiller les marches entre la Bretagne et la Normandie et donna l’ordre de déplacer la prison de Gilles de Châteaubriant à Montcontour (Dom Lobineau, Histoire de Bretagne, I, 630). A. Bourdeaut, « Gilles de Bretagne entre la France et l’Angleterre », M.S.H.A.B., 1 (1920), 106. La même année, le duc autorisa Anne de Laval à prélever un impôt à Vitré pendant une durée de cinq ans afin de permettre une fortification de la ville. In Cartulaire de la Maison de Laval, t. 3. 130.
[8] En Angleterre, il existe une propagande, que ce soit sous la dynastie des Lancastre ou celle des York, qui justifie la prise de Fougères. Voir le traité anglais The Boke of Noblesse, écrit par Worcester, qui justifie la prise de Fougères par l’arrestation et le meurtre de Gilles. William Worcester, The Boke of Noblesse addressed to King Edward the Fourth on his invasion of France in 1475. (Intro. De J.G. Nichols) Londres, Roxburghe Club, 1840, ii-iii & 5. Ce traité est présenté à l’origine à Henry VI dans le but de l’encourager à lutter contre les Français. Il est par la suite rectifié maladroitement pour être soumis à Edward IV lorsque celui-ci veut recouvrer ses droits sur la couronne de France. Worcester utilise les mêmes techniques dans son traité que les Français pour convaincre le peuple des droits légitimes du souverain anglais sur le trône de France. Voir Lewis, « War Propaganda and Historiography », 15-16. The Boke of Noblesse est une source peu crédible puisque Fougères est prise avant la mort de Gilles de Bretagne. Il faut noter toutefois que le Britannique Wolffe se démarque des autres historiens en affirmant qu’il y avait bien une rupture de la trêve avec l’arrestation de Gilles, ami et vassal du roi Henry VI. D’ailleurs, le roi d’Angleterre aurait fait de la libération de Gilles une condition sine qua non à la restitution de Fougères. Bertram Wolffe, Henry VI. Londres, Methuen, 1981, 208. Enfin, John Ferguson mentionne qu’il existait aussi une propagande royale sous les Tudor (lancée sous le règne d’Henry VII) qui niait toute responsabilité du gouvernement Lancastre dans la rupture de la trêve anglo-française : « ’The said sir Frauncis de Surienne the Aragonys which was fellow and brother in armes to the said sir Giles de Bretaine ‘ … since the King Charles had subsequently murdered Gilles, the Aragonese knight had no alternative except to attack Brittany. In any case Charles had broken the truce first by allowing Duke Francis, an English ally, to do homage » (in B.L., Add. MS. 48005, ff. 92v-96r), John Ferguson, English diplomacy. 1422-1461. Oxford, 1972, 31.
[9] Entre autres : Allmand, Bossuat, Bourdeaut, Ferguson, Griffiths, Keen, Daniel, La Borderie, Le Guay, Martin, Pollard, Vale, etc…
[10] Juvénal des Ursins interroge des hommes des deux partis adverses. Parmi les pro-anglais questionnés, on retrouve Richard aux Epaules (le beau-fils de Surienne), Pierre Tuvache, Jaquemin de Moulineaux et Odin de l’Enfermat. Leurs témoignages, ainsi que les comptes du receveur général anglais de Normandie laissés aux Valois lors de la débâcle, prouvent la culpabilité du gouvernement Lancastre. Les témoignages sont rapportés par Basin dans son Histoire des règnes de Charles VII et de Louis XI publie par Quicherat. Bossuat, 346-347. Juvénal des Ursins conclut son enquête sur le sac de Fougères par ces mots : « Et nest doubte que les treves par eulx [les Anglais] furent rompues, et mesmement que, combien ilz feussent sommés, comme dit est, de tout reparer et amender, dont nont riens fait, ne semblant de faire ; […] Et estoit licite à vous [Charles VII], à vos gens, selon toute bonne raison, de leur faire guerre… » Extrait du document original, Bibliothèque Nationale (MS. Fr. 2701, fo. 92), in Dorothy Kirkland, « Notes and Documents, Jean Juvénal des Ursins, and François de Surienne », E.H.R., 53 (1938), 263-267. Ce document est aujourd’hui publié intégralement par Lewis. Voir : « Verba mea auribus percipe domine », in P.S. Lewis, Écrits Politiques de Jean Juvénal des Ursins. Paris, Librairie C. Klincksieck, 1985, t. 2, 231-232. Sur la vie de Jean Juvnal des Ursins, Ecrits politiques, t. iii, La vie et l’œuvre. Table. Paris, C. Kincksieck, 1992.
[11] M.H. Keen & M.J. Daniel, « English diplomacy and the sack of Fougères in 1449 », History, 59 (1974), 375-391.
[12] Stevenson (1861), i, 296. Voir aussi la déposition de Jacquemin de Moulineaux où celui-ci cite la fameuse phrase de Surienne : « J’ai povoir de prendre et non de rendre ». Basin-Quicherat, iv, 326.