FRANÇOIS DE SURIENNE & LE REVIREMENT POLITIQUE DES MONTFORT

François de Surienne et l’Angleterre

Bossuat décrit les nombreux liens qui unissent l’Aragonais à l’Angleterre.  Il mentionne, entre autres, que Surienne est nommé en 1444 capitaine des villes de Verneuil et de Longny en Normandie et qu’il reçoit la seigneurie de Longny et la prise en charge de l’entretien d’une partie de ses troupes par la Couronne.[13] En décembre 1447, il obtient d’Henry VI le château et la capitainerie de Porchester dans le Hampshire ainsi qu’une pension annuelle de £100.[14] Plus révélateur encore, le fils de Surienne, Pierre, est élevé en Angleterre et fait partie de l’entourage du duc de Gloucester.[15]

François de Surienne se révèle être un homme intelligent et fort méfiant, qui s’est assuré d’obtenir le plein accord de la Couronne avant son expédition contre Fougères. Ainsi se rend-il expressément à Londres où il séjourne plusieurs mois (de septembre 1447 au début de l’année 1448). À la cour, il rencontre les ducs de Somerset et de Suffolk et leur réclame le paiement d’avance du raid planifié contre la Bretagne, ce qu’il obtient.  Il conservera par la suite des contacts réguliers avec eux en leur envoyant plusieurs fois deux de ses hommes, Tuvache et Rousselet.[16]

Revirement breton par les revendications de suzeraineté anglaise sur le duché

Au départ, on ne peut nier que la prise de Fougères est un franc succès. Même Talbot, réputé pour sa prudence, exprime sa pleine satisfaction à l’annonce de la réussite de l’attaque,[17] alors qu’il avait émis des réserves et conseillé à Somerset d’abandonner son projet. Il rejoint ainsi l’avis général des Lords qui, réunis lors d’une session parlementaire à Winchester en juin 1449, félicitent le chevalier Surienne pour cette belle prise. Pour l’historien Griffiths, ce témoignage prouve que la noblesse anglaise est de connivence avec l’Aragonais.[18]

La surprise de l’agression anglaise est telle que le duc de Bretagne est désemparé. Conseillé par le roi de France, il donne l’ordre de libérer son frère ; on aurait pu croire alors que le stratagème des ducs de Suffolk et de Somerset se révélait parfait. Cependant, peu de temps après, François 1er se ravise quand il apprend que Somerset et les ambassadeurs anglais ne cachent plus leur intention d’inféoder le duché de Bretagne.[19]

L’arrogance d’Edmund Beaufort, duc de Somerset

Le style employé par Somerset devient de plus en plus audacieux mais s’avère au final inutile et maladroit, en particulier lors des négociations franco-anglaises qui se déroulent à Louviers du 24 au 29 juin 1449, où ses ambassadeurs refusent de traiter avec les Français la question de Fougères prétextant que la ville appartient à un sujet d’Henry VI et qu’il leur faudrait par conséquent un mandat spécial du suzerain pour négocier. Comme si cela ne suffisait pas dans l’art de la provocation, les négociateurs anglais exigent des Français des réparations pour leur exactions commises en Normandie, en particulier celle menée contre la ville de Pont de l’Arche. Enfin, ils leur demandent la libération de Gilles de Bretagne.[20]

La mauvaise foi dans les négociations avec la France et la ligne de conduite à la fois hautaine, agressive et condescendante à l’égard du duc de Bretagne conduisent finalement François 1er à s’allier à la France. Français et Bretons partagent alors la même analyse : puisque le duc de Somerset a été nommé par Henry VI comme représentant du roi pour traiter et résoudre les différends avec la France, Edmund Beaufort a par conséquent le pouvoir de restituer Fougères ; Il est clair qu’il s’y refuse.[21] Par ailleurs, les Anglais ont pris acte à Tours de l’allégeance à Charles VII de François 1er qui, à l’instar du duc de Bourgogne, considère caduques ses obligations envers le Traité de Troyes. Que les Lancastre le sachent est certes une chose, mais cela ne les empêche point de continuer à considérer le duché breton comme leur état vassal.[22]

Dispute féodale franco-anglaise sur la vassalité du duc de Bretagne

Les ambassadeurs anglais, Osbert Mundford et Jean l’Enfant, déclarent à Louviers ceci :

« Et au regart de la restitution de biens estans dedans ladite place de Fougieres […] en pourra estre appoinctié en Angleterre, ou quant les Ambaxadeurs d’Angleterre seront venus par deça ; sans ce toutes fois que pour le contenu en ceste présente offre le dit prince oncle (Charles VII) puisse prétendre aulcun tiltre de la subjection & obissance dudit de Bretaigne… »[23]

On ne peut être plus clair ici sur les réelles intentions des Lancastre. À travers de tels propos, on remarque la détermination anglaise pour que la restitution de Fougères soit liée à la reconnaissance de leur suzeraineté sur la Bretagne par le chef du parti Valois, Charles VII. Londres s’oppose à laisser les Français négocier pour le compte de François 1er, sans qu’ils en aient fait la demande auparavant à Henry VI ; outrepasser les droits féodaux des Lancastre sur le duché breton est considéré désormais comme une ingérence de la part de la France.

Il est bien évident qu’une telle présomption est inacceptable pour les Valois. Elle reviendrait à donner carte blanche au Anglais dans la péninsule armoricaine. La réponse ne se fait pas attendre. Les Français refusent catégoriquement de traiter ou de débattre sur le délicat sujet du statut juridique du duché de Bretagne. Les ambassadeurs de Charles VII, Charles Culant et Guillaume Cousinot, déclarent ceci aux émissaires anglais :

« Il appert clerement que la subjeccion et obeissance du dit pais de Bretaigne appartient au roy (Charles VII), sans quelque question ou debat. Et de present la faire contencieuse seroit faire trop plus grant prejudice au roy que la restitucion de Fougieres ne lui pourroit prouffiter. »[24]

A travers ces quelques lignes, on se rend compte que le différend s’est transposé de la question de la prise de la ville de Fougères à celle de la suzeraineté sur le duché de Bretagne. Ce même constat permet à Bossuat de conclure que ce n’est pas la prise de Fougères qui déclenche la reprise de la guerre de Cent ans mais bien la dispute à propos de la vassalité de la Bretagne.[25] Les versions dans les chroniques de Chartier et d’Escouchy sont à ce sujet peu crédibles quand elles affirment que la trêve est rompue uniquement parce que les Anglais refusent de rendre la ville de Fougères aux Bretons. Jean Chartier, en particulier, veut montrer aux lecteurs comment Charles VII défend les intérêts menacés de l’un de ses vassaux.[26]

Nous sommes dans une période où France et Angleterre clament officiellement leurs droits féodaux sur la Bretagne sans que l’intéressé, le duc François 1er, ait son mot à dire. À cette époque, la France de Charles VII menace moins l’intégrité politique et territoriale du duché breton que la couronne lancastrienne. Du reste, seule l’armée royale française peut aider les Bretons à bouter Surienne et ses troupes anglaises hors de Bretagne.

Notes de l’auteur

[13] Bossuat, 300. Les services de Surienne rendus à l’Angleterre sont très appréciés par les Lancastre. On lui suppute d’avoir enlevé 32 places aux Français. Bossuat, 311.
[14] Bossuat, 314.
[15] Voir la déposition de Pierre Tuvache, in Quicherat, iv, 336 ; Bossuat, 286.
[16] Dès 1447, Suffolk commençait à s’impatienter du retard de l’expédition et il s’en plaignit à Rousselet. Mais Surienne voulait avant tout s’assurer du plein accord de la Couronne et du paiement complet pour mener à bien l’expédition militaire contre Fougères. En 1448, celle-ci fut encore retardée à cause de la révolte populaire qui sévissait en Basse-Normandie. Bossuat, 317-320.
[17] A.J. Pollard, John and the War in France, 1427-1453.  Londres, Royal Historical Society, New Jersey, Humanities Press, 1983, 64. Surienne écrit à propos de Talbot « [Somerset] son beau frère de Shosbery me chargeroit, et quil estoit plus joyeux de la dicte prise que qui lui eust donne cent mil escus d’or. » In Stevenson (1861), i, 288.
[18] R.A. Griffiths, The Reign of King Henry VI. Londres, Ernest Benn, 1981, 512. Voir aussi Griffiths, « The Winchester Session of the 1449 Parliament: A Further Comment », Huntington Library Quartely, 42 (1979), 189-91.
[19] Les chroniqueurs bretons (Le Baud, Argentré, Bouchart, Lobineau et Morice) attribuent ce revirement dans la décision du duc concernant la libération de son frère à un faux, monté de toute pièce par Arthur de Montauban. Bourdeaut estime cette thèse peu crédible puisque les écrits conservés de Somerset et des ambassadeurs anglais démontrent qu’il existait bien une volonté du régime lancastrien de faire de la Bretagne un état vassal. A. Bourdeaut, « Gilles de Bretagne entre la France et l’Angleterre », M.S.H.A.B., 1 (1920), 108-111. Voir aussi les chroniques : Bouchart, 337-339 ; Argentré (1668), 911.
[20] Morice, 1477-1479. Stevenson (1863), 421-430. Par ailleurs, Somerset s’adressa au roi de France avec un style peu respectueux en l’appelant « l’oncle de France ». Charles VII en fut irrité. Mais selon Wolffe, Somerset ici n’avait pas d’autre choix car il voulait maintenir les droits d’Henry VI sur la vassalité de la Bretagne. Wolffe, 207.
[21] Les ambassadeurs français conclurent sur Somerset ceci : « Pour ce que aussi les gens du dit duc de Somerset se sont eforciez de faire la duchie de Bretagne contencieuse, qui est une des plus grans matieres et qui plus touche le roy qui puisse gueres avenir en ce royaume, par quoy plusieurs extiment que quelque parole de treve ou de paix que le dit duc ait fait dire, quil na pas grant vouloir den venir a la bonne conclusion… ». In Stevenson (1861), i, 255-261. Voir aussi Chartier, ii, 62 ; Griffiths (1981), 514. Wolffe se démarque des autres analyses. Selon, lui, Somerset fut de bonne foi quand il affirma qu’il n’avait pas les pouvoirs pour forcer Surienne à restituer Fougères aux Bretons. Wolffe, 207.
[22] Bourdeaut mentionne qu’à l’heure même où François 1er s’apprêtait à arrêter Gilles de Bretagne (en juin 1446), Henry VI était prêt à restituer le roche comté de Richemont au duc de Bretagne, si celui-ci venait à Londres lui rendre hommage (Archives Loire-Atlantique, E.122). In bourdeaut, 100-101.
[23] Dom P.H. Morice, Mémoires pour servir de preuves à l’histoire ecclésiastique et civile de Bretagne. Paris, 1742-1746 [réimprimé en 1968, Farnborough, Gregg International Publishers], 3 vol., ii, 1479.
[24] Stevenson (1861), i, 256.
[25] Bossuat tire sa conclusion à partir de manuscrits intitulés Traité des différents entre les roys de France et d’Angleterre, écrits d’un auteur anonyme (BN : Ms.fr. 5056, 5058, 15490, 17960, Nouv. acq. fr. 6214 ; B. L. : Add.ms. 36541 [XVe s.] et Add.ms. 12192 [XVIIe s]. La British Library attribue ces manuscrits à Jean Jouvénal des Ursins). Bossuat cite une autre source dans laquelle il nous livre le témoignage qui suit concernant la dispute franco-anglaise sur la vassalité de la Bretagne : « [Les Anglais commettaient] encor plus grant entreprise et infraction de treve xx fois que n’estoit ladicte prinse de Fougères » (Liebniz, Mantissa codicis juris gentium diplomatici, Hanovre, 1700, in-fol., fo 93 bis Vo). In Bossuat, 331-332. Basin nous laisse conclure aussi que la cause de la reprise de la guerre fut la querelle à propos de la suzeraineté sur la Bretagne. Basin Samaran, ii, 76-78.
[26] Chartier, ii, 61-73 ; Escouchy, i, 154-167.

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