Polémique sur l’hommage vassalique
Auteur : Pierre ScordiaComme sous le règne de François 1er, les Valois exigent du nouveau duc de Bretagne, Pierre II, l’hommage lige mais ce dernier refuse que sa maison se soumette à une telle vassalité. Le 3 novembre 1450, il se contente de prêter l’hommage simple tel que le veut la coutume [1]. Pendant la cérémonie, Pierre II a un différend avec Dunois (bâtard d’Orléans) et Juvénal des Ursins (chancelier du roi Charles VII) lors de la déposition de son hommage. Le duc consent à ôter son bonnet et son épée, mais refuse catégoriquement de s’agenouiller [2]. Charles VII et ses conseillers finissent par se contenter de cet hommage simple. Mais, il s’en suit une polémique entre Français et Bretons à propos de l’hommage prêté par Pierre II. Les premiers considèrent l’hommage rendu comme un hommage lige parce qu’ils auraient vu le duc fléchir légèrement le genou lorsqu’il a reçu le baiser usité de Charles VII. Pierre II met en garde le roi de France de ne pas « prêter préjudices aux droits & privilèges du duché ».[3]
Politique ducale
Bien que la France ait consolidé sa place sur l’échiquier européen depuis la victoire de Formigny [4] sur l’Angleterre, elle est encore fragilisée par la présence des Anglais à Calais et en Guyenne. Il aurait été imprudent de créer un litige féodal avec le duc de Bretagne à un moment où les Valois craignent une nouvelle offensive anglaise en Normandie. Il faut donc ménager Pierre II qui, contrairement à ce que les chroniqueurs nous laisseraient penser, n’est point « simple ». Ce duc fait preuve plutôt de talent pour la politique et la diplomatie. Il modernise les institutions du duché et convoquera six fois les États du duché. C’est le duc le plus parlementaire.[5] Progressivement il décide de prendre des mesures pour rétablir une politique indépendante de celle des Valois : il se délie du parti français à la cour de Nantes, nie tout droit régalien au roi de France en Bretagne après une enquête instrumentée, refuse de se présenter au Parlement de Paris lorsqu’il y est convoqué, établit de nouveaux liens avec les deux puissances montantes que sont la Castille et le Portugal.[6] Par ailleurs, Pierre II élabore l’étiquette à sa cour et développe considérablement le rôle de l’ordre instauré par Jean IV : celui de l’Hermine [7], appelé aussi Epy sous les règnes des ducs François 1er et Pierre II.
L’Écosse remet en question le droit de succession en Bretagne
Pierre II doit gérer un conflit potentiel avec l’Écosse qui remet en question sa légitimé à partir de 1453. Le roi James II Stuart accuse Pierre II d’avoir usurpé le droit de succession à ses deux nièces, Marguerite et Marie de Bretagne [8], de retenir prisonnière sa sœur Isabeau d’Écosse, veuve de François 1er et de l’empêcher de jouir de son douaire. James II, homme ambitieux, projette de marier sa sœur à un magnat écossais, il a aussi des vues politiques sur le duché de Bretagne.[9] Pour calmer les esprits, Pierre renonce à son intention de contracter une union entre la duchesse douairière Isabeau et la maison de Navarre et plus important, pour mettre fin au litige successoral avec les Stuart, il marie Marguerite de Bretagne – héritière présumée du point de vue écossais – à François d’Estampes, prince en seconde position dans l’ordre de succession sur le trône ducal après le vieux comte Arthur de Richemont, frère de Jean V.[10] Néanmoins, les relations entre la Bretagne et l’Écosse resteront tendues à cause des prétentions des Stuart sur la couronne ducale et ne feront que s’aggraver avec la sacro-sainte alliance franco-écossaise. Pierre II sera fort irrité par le concours diplomatique de la France apporté à James II. Désormais, la Bretagne redoute les mêmes dangers que l’Angleterre : être prise en étau par les malveillances des Valois et des Stuart.
Le vieux différend sur les actes de piraterie entre la Bretagne et l’Angleterre
Si en temps de collaboration et de paix, le duché de Bretagne éprouve des difficultés à empêcher les actes d’hostilité de ses marins à l’encontre des bateaux anglais naviguant au large de ses côtes, il ne faut pas s’étonner de voir le nombre d’exactions exploser en temps de guerre ou durant les périodes de tensions politiques.[11] Les attaques contre les pavillons anglais et les grosses pertes qui en découlaient sous le règne précédent de François 1er ont servi à un moment donné pour justifier le sac de Fougères. À la conférence de Louviers [12], les hommes de Somerset ont évalué à plus de trois millions d’or les dégâts causés par les pirates bretons et les ont accusés de semer la terreur sur le littoral anglais.[13] On sait désormais que la prise de Fougères n’a pas été déclenchée par les razzias maritimes ; néanmoins pour qu’elles soient mentionnées officiellement dans les pourparlers diplomatiques, elles constituaient certainement un véritable fléau pour les Anglais.Cependant, il serait faux de croire que les Anglais sont les seules victimes de la piraterie. Eux aussi pratiquent avec succès cette technique dont les marchands bretons font souvent les frais. L’étude de Kingsford, Prejudice & Promise in XVth Century England, rapporte de nombreux incidents entre les corsaires anglais et la marine marchande bretonne dans les années 1440.[14] Les conséquences en sont désastreuses car en général, les armateurs bretons ne possèdent qu’un bateau. La perte d’un navire signifie faillite et faim pour l’entrepreneur.[15] À ce propos, Pierre II, vers la fin de son règne, se plaint à Charles VII des nombreux sauf-conduits délivrés par l’Amiral de France aux navires anglais et lui rappelle en ces mots les dangers que représente la présence de ces bateaux près du littoral breton : « grands maulx, pilleries & dommages […] sur les pais et les subjets de Bretagne ».[16]
Pendant ses sept années de règne, Pierre II a contribué à la modernisation, à l’indépendance et à la stabilité de l’État breton. Il a fait plutôt preuve de prudence et a orienté sa politique en fonction des acteurs pesant sur l’échiquier européen.
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[1] Bertrand d’Argentré, Histoire de Bretagne, Paris, 1668, 3e éd. (1e éd. : 1588), 951.[2] G. Du Fresne de Beaucourt, Histoire de Charles VII, iv, éd. 1881-1891, 313-314.[3] Du Fresne de Beaucourt, Histoire de Charles VII, iv, 313-314.[4] En Normandie.[5] Arthur de la Borderie, « Les ducs de Bretagne de la maison de Montfort (1364-1488) », Revue de Bretagne et de Vendée, juil-set. 1866, 157-160 ; Arthur de la Borderie, La Bretagne aux derniers siècles du Moyen-Age (1364-1491). Rennes, J. Phihon et L. Hommay, 1904, 166-167.[6] Voir les lettres et documents publiés par Morice au sujet de la dispute sur les droits de la régale. Dom P.H. Morice, Mémoires pour servir de preuves à l’histoire ecclésiastique et civile de Bretagne. Paris, 1742-1746 [réimprimé en 1968, Farnborough, Gregg International Publishers], ii, 1557-1559, 1607-1610 et 1651-1668. Par ailleurs, à travers le sceau de Pierre II, on constate par certains symboles l’affirmation du pouvoir ducal. « l’écu est droit et timbré de la couronne ducal. » In Émile Lefort des Ylouses, « Le sceau et le pouvoir. L’évolution du sceau des ducs de Bretagne du XIIe siècle au XVe siècle », M.S.H.A.B., lxviii (1991), 137.[7] In Michael Jones, « Les signes du pouvoir : l’Ordre de l’Hermine, les devises et les hérauts des ducs de Bretagne au XVe siècle », M.S.H.A.B., 68(1991), 141-158.[8] Filles de l’union entre le duc François Ier et Isabeau d’Écosse, sœur du roi James II (Jacques II).[9] Du Fresne de Beaucourt, vi, 132-135 ; The Exchequer Rolls of Scotland, G. Burnett (édit.), Édimbourg, 1882-1883, vol. V, lvii-lviii ; vol. VI, lii-liv ; MacDougall, 43-44. Voir aussi les lettres touchant sur la querelle entre l’Écosse et la Bretagne publiées dans Morice : Morice, ii, 1617-1625, 1629-1630 et 1644-1645.[10] Morice, ii, 1675-1682.[11] En automne 1443, les pirates bretons se font particulièrement remarquer dans leurs entreprises contre les navires anglais. P.A. Johnson, Duke Richard of York, 1411-1460. Oxford, Clarendon, 40 (voir aussi : C.F. Richmond, «Royal Administration and the Keeping of the Seas, 1422-85 », University of Oxford D. Phil. Thesis, 1963).[12] Négociations franco-anglaises du 24 au 29 juin 1449.[13] Joseph Stevenson (éd.), Narratives of the English Expulsion from Normandy. Rolls Series, 1863, 418 ; Morice, ii, 1474-1475.[14] Kingsford, Prejudice & Promise in XVth Century England , 91-94.[15] J.P. Leguay et H. Martin, Fastes et Malheurs de la Bretagne ducal, 1213-1532. Rennes, Ouest-France, 1982, 208.[16] Morice, ii, 1693-1695.
Glossaire
Arthur, duc de Richemont (1393 – 1458), deuxième fils du duc de Bretagne Jean IV et Jeanne de Navarre (duchesse de Bretagne puis reine d’Angleterre), il fut nommé connétable de France par Charles VII. Charles VII, roi de France : (1403 – 1461) Fils de Charles VI et d’Isabeau de Bavière, il est écarté de la succession en 1420 au profit d’Henry V d’Angleterre et de ses descendants. Moqué et injurié, connu sous le nom du petit « roi de Bourges », il récupéra la couronne de France après un très long combat. Il se servit notamment de Jeanne d’Arc pour asseoir sa légitimité. François 1er, duc de Bretagne : (1414 – 1450) : fils aîné du Jean V et de Jeanne de France. Il fut responsable de l’arrestation de son frère Gilles de Bretagne. Le meurtre de ce dernier, lors de son incarcération, le hanta et ternit son image internationale. Il mit fin à la politique de collaboration entre la Bretagne et l’Angleterre. Il fut marié à Isabeau d’Écosse. Isabeau d’Ecosse, duchesse de Bretagne : (née entre 1425 et 1427 – morte en 1494) fille du roi James 1er d’Ecosse et de Joan Beaufort. Réputée belle, elle fut mariée au duc de Bretagne, François 1er, alors qu’à l’origine, elle était destinée à épouser le duc Jean V, père de François. De cette union naquirent deux filles, Marguerite de Bretagne, épouse de François II de Bretagne et Marie de Bretagne, épouse de Jean II, vicomte de Rohan. La sœur d’Isabeau, Marguerite d’Écosse, épousa le dauphin de France, le futur Louis XI. James II (ou Jacques II), roi d’Écosse : né en 1430, il monta sur le trône à l’âge de 6 ans suite à l’assassinat de son père, James Ier. Il fut un roi populaire jusqu’à sa mort en 1460. Dans sa politique d’alliance franco-écossaise, il maria sa soeur Margaret (Marguerite d’Écosse) au dauphin de France, le futur Louis XI. Jean IV, duc de Bretagne : (1339 – 1399) Fils de Jean de Montfort et de Jeanne de Flandres, connue sous le nom de Jeanne la Flamme pour sa lutte contre les Penthièvre durant sa régence. Jean IV, duc anglophile, passa une partie de sa vie en Angleterre. D’ailleurs, il réussit à asseoir son pouvoir sur la péninsule grâce à l’intervention militaire de ces derniers. Il instaura l’alliance avec les Anglais, alliance qui perdura plus ou moins pendant un siècle. Jean V, duc de Bretagne : (1399 – 1442) Fils du duc Jean IV de Bretagne et de Jeanne de Navarre. Il mena une politique d’alliance et de neutralité bienveillante à l’égard de l’Angleterre. Il consolida l’indépendance du duché vis à vis de la France. Somerset, Edmund Beaufort, duc de Somerset : (1406 – 1455) Fils du comte John de Somerset, demi-frère d’Henry V et de Marguerite Holland, neveu de l’archevêque de Winchester. Il fut un des principaux chefs militaires de l’armée anglaise pendant la guerre de Cent Ans. Il devint conseiller du roi Henry VI et favori de la Reine d’Angleterre, Marguerite d’Anjou. Somerset fut responsable de la politique désastreuse en France. En Bretagne, il mit à sac la ville de Fougères, la conséquence en fut la rupture de l’alliance entre les Montfort et les Lancastre. Avant d’obtenir le titre de duc, il était connu sous le titre de comte et marquis de Dorset. Richard d’York (1411 – 1460) : descendant direct par son père et par sa mère du roi Edward III. Son père, le comte de Cambridge, fut exécuté pour trahison sous le règne d’Henry V. Il épousa Cécile Neville, renforçant ainsi son poids politique. En mars 1454, il fut nommé Lord Protecteur en raison de l’incapacité d’Henry VI de gouverner et cela jusqu’à la naissance du fils de Marguerite d’Anjou et du roi. Il y eut par la suite une lutte de pouvoir entre la Reine et le duc d’York, ce qui déclencha la Guerre des Deux Roses. Il fut tué sur le champ de bataille. Son fils Edward IV lui succéda et fut finalement couronné.
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