Immigrer au Canada 🇨🇦
ENTRETIEN AVEC LAURENCE NADEAU
Laurence Nadeau, cofondatrice immigrer.com et auteur de S'installer et travailler au Québec à L'Express
Originaire de Montréal, Laurence Nadeau a débuté sa carrière de journaliste en 1995. Diplômée de science politique et d'histoire aux deux universités francophones de Montréal, elle a travaillé pour la télévision et la radio de Radio-Canada, à Paris en France, et au Canada, dans les villes de Montréal (Québec), Ottawa (Ontario), Winnipeg (Manitoba), Edmonton et Calgary (Alberta).
Tout a commencé à Paris en 1997 lorsqu'une amie journaliste au Nouvel Observateur, Laure Garcia, lui a suggéré de faire un livre avec elle pour les Français désirant s'installer au Québec et au Canada. En 1999, avec la colaboration de Laurent Gigon nait le site internet immigrer.com et par la suite son livre actualisé chaque année aux éditions L'EXPRESS, S'installer et travailler au Québec. La 11e édition du livre sortira en octobre 2015. Aujourd'hui Immigrer.com a 20 000 visiteurs par jour.
Pourquoi le Canada et le Québec sont aussi populaires auprès des jeunes français ?
Laurence Nadeau : Je crois que le Canada, surtout le Québec, représente cette Amérique "française" où tout est encore possible, où il y a tant à faire encore. Un rêve américain en français auprès des cousins, c'est un peu le meilleur de deux mondes. Le Québec pour les jeunes Français, c'est un peu l'aboutissement du rêve des grands espaces, de qualité de vie, de rapport moins hiérarchisé, de vivre l'aventure à l'américaine mais tout en restant dans sa langue maternelle. Mais plus loin que l'image d'Épinal, les jeunes français se sentent souvent écrasés par le chômage et les ouvertures limitées en France pour leur génération et la possibilité de venir à l'étranger, que ce soit ailleurs en Europe, ou au Québec, est une chance de faire sa place dans une nouvelle culture ou encore venir chercher une expérience nord-américaine qui sera valorisée à leur retour au bercail.
Faut-il une bonne maîtrise de l’anglais pour travailler à Montréal ?
Montréal quatrième ville francophone au monde (après Kinshasa, Paris et Abidjan) est une ville très bilingue en effet. La maîtrise de l'anglais est nécessaire dans certains milieux comme la finance, les services à la clientèle. Mais attention, lorsqu'on parle de l'anglais, il faut savoir qu'on ne demande pas une maîtrise parfaite de la langue. Évidement les Québécois qui baignent dans l'anglais depuis des années ont un bon niveau mais en s'installant à Montréal, il est facile de s'immerser dans cette langue par les médias, la culture, les fréquentations, la colocation. Il est possible de trouver des emplois sans parler l'anglais mais vous serez toujours limité et vous plafonnerez.
Une fois arrivée au Québec, est-ce que les diplômes universitaires sont reconnus à leur juste valeur par les employeurs ?
C'est un des points noirs d'une éventuelle installation au Québec et au Canada. Il faut savoir rapidement si sa profession est représentée par un ordre ou un corps de métiers. Car si c'est le cas, vous devez frapper à la porte de cet organisme pour faire reconnaître votre diplôme étranger. Même s'il y a eu plus de facilité ces dernières années, surtout entre la France et le Québec, reste que certains nouveaux arrivants doivent complètement changer d'orientation car les démarches pour être reconnu dans leur métier sont trop longues et complexes. Si vous avez une famille à faire vivre, il est difficile de revenir sur les bancs d'école ou de faire des stages sans salaire pendant des mois, voir plus, pour retrouver votre titre. Et moins votre université ou école hors du pays est connue ou reconnue au Canada, plus la reconnaissance sera difficile.
Quels seraient vos conseils pour mieux s’adapter au rude hiver québécois ?
Il faut d'abord bien s'habiller, ça peu faire un peu sourire mais parfois les nouveaux arrivants doivent apprendre les rudiments pour ne pas avoir trop froid. Aujourd'hui, certains manteaux ne sont pas si épais et restent hyper performants et il est possible d'être élégant tout en restant au chaud. Mais il ne faut pas oublier de mettre des choses sur les extrémités du corps, comme la tête, les mains et le cou aussi.
En outre, il faut se mettre dans le bon état d'esprit et ne pas prendre l'hiver de façon négative. Il faut sortir, surtout ne pas rester "encabané" comme on dit au Québec. Il faut profiter des activités hivernales, faire du sport, un peu de patin, de ski ; plusieurs festivals et évènements se passent l'hiver. Se battre contre l'hiver est la meilleure façon d'en déprimer, il faut aller de l'avant, foncer et trouver sa façon d'en profiter.
De plus, il faut savoir que l'hiver est une période très ensoleillée. Certains Européens le préfèrent à la grisaille des villes d'Europe. Prendre du soleil l'hiver, c'est possible et ça fait un bien fou pour le moral. Aussi dans les maisons et les espaces publics intérieurs vous n'aurez pas froid car les maisons sont généralement très bien isolées pour affronter les grands froids. Il faut juste apprendre à gérer à bien s'habiller, à profiter de l'hiver et parfois à apprendre à marcher en canard sur la glace 😉
Dans quelle région peut-on trouver facilement du travail au Québec et au Canada?
Il y a du travail partout. Souvent les taux de chômage peuvent être plus élevés dans les grandes villes. Il faut regarder par rapport à votre profession, certains métiers ont plus de possibilités dans les grandes villes canadiennes mais si vous avez envie de nature, il est aussi possible d'en trouver ailleurs. Souvent les gens pensent systématiquement la grande ville car il y a plus d'opportunités mais considérez aussi que vous y avez plus de compétition. Et surtout pour certains Français maîtrisant moins bien la langue anglaise, les régions du Québec peuvent être intéressantes car souvent les entreprises peuvent être moins exigeantes hors Montréal.Pour les non francophones, si vous ne pas possédez pas le français, vous vivrez un plafonnement dans votre recherche d'emploi au Québec.
Nous avons développé une page pour déterminer les emplois les plus recherchés par région: Immigrer.com votre profession par région
L’expression « maudit français » est-elle toujours pertinente aujourd’hui ?
Il est bien vrai que les Français d'aujourd'hui n'arrivent plus autant en conquérant que dans les années 60-70. Ils sont plus modestes. Comme les Québécois sont à 80% des descendants des Français, et que les Québécois ont parfois ce sentiment d'avoir été abandonné en Amérique du nord par les Français dans l'histoire (voir la capitulation de 1760 et le traité de Paris, signé en 1763), il y a quelquefois un rapport d'amour-haine entre les deux. C'est parfois une surprise pour les Français qui sont tellement plein d'amour pour les Québécois, quoique souvent très moqueurs. Mais ces choses se sont atténuées ces dernières années. Mais bon, un Français débarquant au Québec aura toujours à démontrer qu'il a une bonne approche et qu'il n'est pas là pour dicter la façon de faire et de penser.Les Québécois sont très sensibles au "savoir être" des gens plus qu'au "savoir faire", ainsi ils vous jugeront plus par votre attitude plutôt que par vos accomplissements sur papier.Nous avons un test humoristique justement sur le Maudit Français sur notre site, question de détendre l'atmosphère un peu 😉 N'oubliez pas qu'au Québec, c'est vous (les Français) qui avez un accent! http://www.immigrer.com/p/maudit-francais/etape01
Serait-il plus facile pour un Français de s’installer à Toronto ou à Vancouver ?
Certains diront qu'il y a moins d'idées préconçues sur les Français dans le Canada anglais, ROC (rest of Canada). Il est vrai que les Canadiens anglais n'ont pas de rapport de cousin éloigné avec les Français contrairement aux Québécois. Les Canadiens anglais n'attendent pas autant des Français comme parfois au Québec. On ne teste pas leur niveau d'adaptabilité.
Par contre, la barrière de la langue fait en sorte que le Canada anglais est tout de même plus difficile à saisir. Le Français au Québec part avec une longue d'avance, encore faut-il qu'il ait la bonne attitude, mais dans le reste du Canada cela prendra plus de temps à décortiquer les codes.Ainsi je ne pourrais affirmer que c'est plus simple, cela semble plus facile en superficialité mais lorsqu'on gratte, on peut se rendre compte que les immigrants français prennent plus de temps à développer des repères.
Si un britannique veut s’installer à Montréal, doit-il apprendre le français pour trouver du travail ?
À Montréal, il est possible de travailler qu'en anglais mais le bassin de possibilité est plus étroit. Même si le Canada est officiellement un pays bilingue, le Québec, lui, a comme langue officielle que le français, ainsi les Québécois sont très soucieux de préserver la langue de Molière. Si vous voulez vous installer à long terme au Québec, il est mieux d'apprendre le français. De nombreux cours gratuits sont offerts aux nouveaux arrivants. Mais surtout n'attendez pas trop dans votre installation pour prendre des cours, car il faut battre le fer quand il est chaud. J'ai pu constater que certains immigrants n'ayant jamais appris le français les premières années, ne le font guère plus tard. C'est au début de l'installation que cela se passe.Et avec le français, c'est non seulement toute la culture du Québec qui s'ouvre à vous mais aussi un bassin énorme de possibilités au niveau du travail. Et les Québécois francophones sont sensibles au fait que des étrangers ont pris la peine d'apprendre leur langue puisqu'ils se sentent souvent minoritaires en Amérique du Nord.
Quelle est l’erreur à ne pas faire quand on vient vivre au Québec ?
Il ne faut pas arriver en conquérant, être condescendant, prendre les gens de haut. Votre personnalité est primordiale au Québec pour être accepté par les autres. Les Québécois aiment la simplicité et la modestie. Même si vous pensez que les gens de votre pays d'origine font mieux les choses, tentez de comprendre avant de juger systématiquement ou de comparer perpétuellement. Les Québécois ont horreur d'une attitude hautaine, ils préfèrent vraiment les rapports égalitaires dans leurs échanges.De même, les comparaisons systématiques, gardez les pour vos rencontres entre expatriés et amis immigrants, les Québécois ne veulent pas entendre toujours parler de votre pays d'origine. Cela peut les intéresser au début mais il faut rapidement prendre le pouls de la culture locale. Si vous voulez vous installer à long terme, il faut lire les journaux, s'intéresser à l'actualité locale, consommer de la culture régionale afin de prendre un réel bain de la nouvelle culture environnante.Et n'oubliez pas que c'est vous qui avez décidé de venir au Québec, car même si le Québec a une politique d'immigration active et désirée, ce n'est pas au Québec de se plier à 100% à vos demandes.
Vous qui avez vécu en France, trouvez-vous la vie plus facile au Canada qu’en Europe ? Pourquoi ?
J'ai eu la chance de connaître la France, et également de travailler dans 4 différentes provinces au Canada. Aujourd'hui j'ai aussi la nationalité française et avec le métier que je fais, je pourrais vivre en Europe aussi mais je préfère en effet ma vie au Québec et au Canada.Pour moi, ma qualité de vie est sans contredit meilleure au Canada. Par exemple, pour le même salaire qu'en Europe, je vis dans un logement plus grand, je peux être tôt avec ma famille en soirée, je limite le transport, etc. J'apprécie aussi la simplicité des rapports en Amérique du Nord en général, le tutoiement, le service ; on ne passe pas sa journée à se battre contre quelque chose mais plutôt à faire avancer les choses, du moins c'est mon impression. On cherche le consensus, parfois peut-être trop mais je préfère cela à une confrontation perpétuelle qu'on retrouve plus sur le Vieux Continent, c'est plus reposant.
Par ailleurs, le marché du travail est plus dynamique, en partie parce qu'il n'y a moins de charges lourdes qu'en France, par conséquent les employeurs sont moins réticents à prendre de nouveaux employés. Les Canadiens et les immigrants reçus peuvent plus facilement quitter un travail sans avoir peur de se retrouver au chômage. Il y a plus de fluidité au niveau du travail, ce qui permet aux gens de "magasiner" leur carrière. Enfin, le taux de chômage des jeunes est plus bas et les travailleurs ont l'impression d'avoir un avenir intéressant.Mais il est vrai qu'il n’y a pas de vieilles pierres au Québec comme en Europe, et pour les voyages, il faut payer beaucoup plus pour se dépayser alors qu'en Europe on n'a qu'à prendre sa voiture ou le train pour changer de pays, de langue, de culture. C'est bien beau la facilité, mais il faut y trouver son bonheur aussi. S’il est primordial pour vous d'être près de vos parents, de vos amis de longue date, du patrimoine et de la gastronomie européenne, vous pouvez trouver plus difficile de vivre si loin en Amérique.
FORM-Idea.com Montréal, le 10 septembre 2015.