Les “événements”

Ces «évènements» deviendront «la guerre d’Algérie». Paul Eugène sera chassé avec 1 million de Pieds noirs dans un pays de 9 millions d’arabes (et encore tous ne sont pas recensés), sa cécité a payé, il est expulsé, toujours avec «sa smala une main devant, une main derrière».

Il va bien regretter la Casbah avec ses bordels et ses salles de jeu, tenus par la mafia Corse. Les «Porca Miseria !» et autres «Putana la Madonach’ !» du Sartenais Paul Eugène, façon Depardieu, devaient résonner dans les lupanars et les clandés des bas-fonds.

Il savait qu’en France, finie la bamboula, finie la tyrannie familiale, fini le respect des collègues, fini la soumission des Arabes de la rue, se faire servir, se faire cirer les chaussures, se faire laver la voiture… sans compter les petits noms affectueux qui allaient avec.

Paul Eugène le «Tigre de papier» (Mao à Tchang Kaï-Chek en 56)  tombe en cendres, cramé sur les quais d’Alger.

En Avril 62, les Arabes ne voulaient plus de nous, on nous a «rapatrié», mais la Patrie ne voulait pas de nous non plus. Les francaouis avaient oublié que depuis un siècle ils avaient envoyé des Pieds noirs envahir un pays pour y piller leurs richesses et les importer à une brassée de cargo de Marseille, et s’en repaître sans aucun scrupule, accompagné d’un cynisme sans faille.

L’amnésie est dite antérograde lorsque le sujet ne parvient pas à se souvenir d’événements récents (Wikipedia).

On est parqué comme des lépreux à Marseille, le retour à la mère Patrie, bienvenus chez vous.

On cherche la cellule psychologique, l’équipe médicale, les réfectoires et les dortoirs, comme pour les réfugiés actuels mais nib, zob, wallou, nous sommes des Français qui rentrons en France après des vacances qui ont duré un siècle à peine, mais on est déjà les oubliés.

«J’ai mal à l’Algérie» écrivait Camus, il pleurait sur les «évènements», comme on nommait cette guerre d’Algérie, en Irlande on disait les «Troubles», comme les Russes parlent d’«opération militaire spéciale» pour leurs crimes en Ukraine. Il a pourtant raison sur l’histoire suivante de l’Algérie, elle passera d’une dictature à l’autre… «mais cela ne nous regarde pas !»

Bref là-bas ça s’égorge et s’étripe, «faut qu’ça saigne» écrivait Boris Vian :

C’est le tango des joyeux militaires
Des gais vainqueurs de partout et d’ailleurs
C’est le tango des fameux va-t-en guerre
C’est le tango de tous les fossoyeurs
Faut qu’ ça saigne
Appuie sur la baïonnette
Faut qu’ ça rentre ou bien qu’ ça pète !

 

Tu vois Albert, la nostalgie de la vie insouciante des colonies t’aveugle, bien loin de la réalité politique, mais je te pardonne…

Nostalgie

Moi aussi j’ai de la nostalgie du Maghreb, il y eut des moments de bonheur absolu.

C’est à Tunis, j’ai 5 ans, ma petite voisine en a 6, les filles sont bien plus matures que les garçons, c’est scientifique, et… c’est là qu’elle me l’a montrée… La violence d’un éclat de soleil dans un miroir me fend l’iris, je passe d’aveugle à extralucide, «l’origine du monde» apparaît sous sa jupette à carreaux, cette image à la fois visage et paysage me ravage, je ne serai pas un cérébral, je serai un jouisseur, je n’ai jamais cessé d’essayer d’en révéler le mystère… une addiction !

Encore Rimbaud :

La petite brutale, et qu’elle avait sauté,
Dans un coin, sur son dos, en secouant ses tresses,
Et qu’il était sous elle, il lui mordait les fesses,

Car elle ne portait jamais de pantalons ;
Et, par elle meurtri des poings et des talons,

Remportait les saveurs de sa peau dans sa chambre.

 

Tunis toujours, à la maternelle, le directeur Mr Truchy nous fait le bonheur d’accueillir deux petites Suédoises blondes aux yeux bleus, on n’avait jamais vu ça ! Toute la cour les entourait, on les touchait. Beaucoup plus tard, je joue à Paris au Théâtre du Splendid à 22h, j’ai un numéro parodique de Pied noir dans le spectacle, Michel Boujenah joue à 20h, sa mère et lui viennent me voir et me félicite, j’apprends que Michel était dans cette même maternelle à Mutuelleville la même année, nous ne nous sommes pas connus à l’époque puisque nous n’avions d’yeux que pour les Suédoises…

À 7 ans, à Alger, caché sous mon lit pour respecter le silence imposé dans la maison, allongé à même le carrelage pour sa fraîcheur, je creuse avec mes ciseaux d’école les joints des carreaux, (pas besoin de pédopsy pour comprendre la symbolique de l’évasion rêvée), je me tortille à plat ventre et découvre le délice de la masturbation, c’est un os que je n’avais pas, il apparaît ou disparaît suivant ce que je filme sous mes paupières closes ; je me servirai très souvent et très longtemps de ma caméra.

Dans les bus d’Alger les femmes enveloppées de voiles blancs de la tête aux pieds, faisaient émerger sans pudeur un sein d’une dimension hors norme pour allaiter leur bébé, j’étais captivé… envouté par la rondeur, le velouté de la peau… à se damner !

Pendant la période du ramadan, les Arabes se traînaient au boulot comme à l’école, ils ne mangeaient, ni ne buvaient du lever au coucher du soleil, on rigolait, parce que dès la rupture du jeûne (le ftour), les musulmans s’en mettaient plein la panse une grande partie de la nuit et avant le lever du soleil, le petit-déjeuner était monstrueux, en témoignaient dans les rues les montagnes de pâtisseries croulant sous le miel et les collines de dattes. Dans le Coran la gourmandise n’est pas pêché (haram), quelle chance, je me sentais tellement musulman en période de ramadan…

De Gaulle

Il est difficile d’imaginer la bonne humeur indéfectible des Pieds noirs même pendant les attentats nocturnes au plastic, qu’ils soient du FLN ou de l’OAS avec ses morts et ses blessés, nous, on se foutait de la gueule de la Grande Zora, le surnom «pied noir» de De Gaulle, on se poilait, on se tapait dans la main et on chantait à tue -tête une parodie :

Sous les ponts de Paris y avait De Gaulle qui chie,
les Pieds noirs baïonnette au canon
lui chatouillaient l’oignon !

 

On singeait son fameux : «je vous ai compris» totalement incompris et le : «Un quarteron de Généraux en retraite» pour l’OAS et on aimait bien aussi : «Le pronunciamento militaire», il ne savait pas qu’à Alger on parlait plus l’arabe que le latin !

On imitait sa façon de parler ou plutôt on imitait son imitateur vedette, Henri Tisot, comme aujourd’hui on imite Laurent Gerra imitant.

 

On se regroupait chez les voisins pour les informations du soir à la télé, le présentateur arabe s’appelait Nordine El Alami, on gueulait dans le couloir : «Viens vite ça commence, c’est la Sardine et Le Salami» et on s’explosait de rire… Combien d’artistes ont exploité l’après-guerre : La famille Hernandez (Lucette Sahuquet et Robert Castel), Pierre Péchin, Michel Boujenah, Gad Elmaleh, Elie Kakou, Jamel Debbouze… Et surtout le Roi Enrico Macias :

J’ai quitté mon pays, j’ai quitté ma maison, aïe aïe aïe ! zaïe zaïe… ! Pô pô di !

Exile à G…

Voilà que la scoumoune me colle au cul, le maton est muté à G…
Une bourgade dans les Alpes moquée par Fernand Reynaud :
«Ne me parlez pas de G… tous des prétentieux !»

Et Stendhal lui-même dans « La Vie de Henry Brulard » :

« Tout ce qui est bas et plat dans le genre bourgeois me rappelle G…, tout m’y fait horreur, non, horreur est trop noble, mal au cœur. G… est pour moi comme le souvenir d’une abominable indigestion (…) un effroyable dégoût.»

 

Six années de lycée après l’exode de 62, la France est taguée :
«Mort aux cons»
«Sous les pavés la plage»
«Il est interdit d’interdire»
Et le très grand :
«Soyez réalistes, demandez l’impossible !»
Je respire l’air pur des 40° rugissants, je vole.
Ce G…sonnera le départ de ma course au large !
Et aussi celui de mes compagnons de cellule car Paul Eugène se tue en voiture, j’ai 20 ans.
Les anciens compagnons de captivité ne se fréquentent pas, c’est la règle, chacun son vent, chacun son cap, aussi nous ne nous reverrons plus.

La guerre d’Algérie astreint le peuple Pied-Noir à l’exil et le contraint à se diluer dans la population française, et par cela, étonnamment, sauve ô combien de vies personnelles !

Me Too !

©2022 J. Castaldo


Notes de l’auteur

À l’âge adulte, par le hasard des rencontres de bar, je suis face à Karim, il boit de l’alcool (haram), il me raconte comment il agissait au sein du FLN dans le Constantinois, plutôt proche de Krim Belkacem dit-il ! Attentats, tortures etc… À moi y parle ce craoui ! Juste à moi ! zebol o mouk ! Sa mère ! Genre on est du même bord !

Le FLN fut la principale force violente de libération de l’Algérie contre les occupants français.

Il explique : il est venu en France finir ses études, il a rencontré une Française qu’il a épousée et le voilà français comme ses deux enfants.

J’ai fini mon verre, j’ai refusé sa tournée et je lui ai demandé s’il pensait que des résistants du Vercors face à l’invasion allemande pendant la seconde guerre mondiale, étaient partis dès 45 faire leurs études en Allemagne, s’ils avaient épousé des Allemandes et s’ils payaient des verres à la fête de la bière à Munich ???


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Jack Castaldo


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June 25, 2022