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New York – Juillet 2005

 

New York, New York… me voici! New York… Jonathan arrive à Newark, New Jersey. Le passage à la frontière a été une simple formalité. Se pourrait-il que les Américains aiment leurs voisins? Quel changement de traitement depuis qu’il a acquis la nationalité canadienne ! Il se rappelle que les Ricains lui réservaient plutôt un accueil assez tiède lorsqu’il avait son passeport français. Cette fois-ci, on ne l’a interrogé que sur sa destination : une seule question, s’il vous plaît ; pas de tampon, pas d’interrogatoire, pas d’empreinte digitale, pas de photo, pas de suspicion, pas de condescendance, pas de date d’expiration. Il a eu même le droit à une esquisse de sourire. Le Bushland serait-il plus accueillant que le régime démocrate clintonien? Désormais il peut rester aussi longtemps qu’il le désire dans cet eldorado.

Son frère, David, est là pour l’accueillir. Il est 18h. Ils s’embrassent rapidement. Jona demande pourquoi sa mère n’est pas là. Il est étonné d’apprendre qu’elle a repoussé sa venue afin d’aller à un vernissage à Rome. Arrivés au parking, ils rangent les valises dans le gros 4×4. Près du volant, traîne une grosse tasse en carton de Starbucks. Les ralentissements dus à un encombrement continu les retardent de deux heures ; Enfin, ils gagnent Hoboken qui n’est qu’à une quinzaine de kilomètres de l’aéroport. Ils en profitent pour rattraper le temps perdu après toutes ces années de silence. Ils n’ont jamais été vraiment proches. David vit une passe plutôt difficile depuis son retour de Californie. Sa femme est en pleine déprime depuis leur installation dans le New Jersey et sa boîte est en train de licencier le tiers du personnel. « Et ta fille ? » lui demande Jonathan. David a oublié de mentionner sa gamine de 18 mois. « Oui, elle est adorable, un peu hyper active. On aurait préféré une vie sans enfant. Mais la pression de la quarantaine, tu sais… on n’a plus le temps de réfléchir ». Cette responsabilité supplémentaire n’aide aucunement à remonter le moral de sa femme. Pourtant David fait tout pour faciliter la vie de sa compagne. Il envoie sa fille dans une garderie huppée qui lui coûte 1.500 $ par mois et il appelle régulièrement la jeune baby-sitter australienne qui habite à une rue de chez eux. Rien à faire, la pensée que le rôle de mère responsable durera au moins vingt longues années la décourage considérablement, comme si elle était condamnée à deux décades de taule.

Pourtant, c’est une Jackie en pleine forme que Jonathan rencontre en arrivant dans leur appartement de 4 pièces donnant vue sur la rivière Hudson et le Westside de Manhattan. Elle porte sa fille dans ses bras, grand sourire à l’américaine et lui dit avec une pointe d’ironie « How are you honey, welcome to New Jersey ». Dès qu’elle pose son bébé parterre, celui-ci s’agite dans tous les sens et finit par étourdir Jonathan. Les aboiements de la chienne, un petit Cocker, ne font qu’accentuer une impression de désordre et de cacophonie.

Peu importe, Jona est à New York, ce qu’il a toujours voulu. Son billet de retour est prévu pour septembre, mais cela lui est bien égal. Le champagne du premier soir, la nuit chaude et humide de juillet et la vue panoramique du Manhattan nocturne lui procurent une allégresse et une fureur de vivre, de réussir et de s’éclater.

***

Il passe ses premiers jours à explorer la ville et à dégoter un club de gym qui lui convienne, club situé près de Port Authority, sur la 42e. Pour rien au monde, il négligerait son corps, son plus fidèle ami. D’ailleurs, il faut s’imposer physiquement dans cette ville pour survivre. Manhattan le séduit avec son architecture vertigineuse, sa population extravertie, son énergie infatigable, sa vivacité d’esprit, son avidité inépuisable, sa rapidité. Chaque jour, il découvre un quartier de l’île. Il se sent en osmose avec New York. Il a cette forte conviction que sa vie prendra un tournant ici même.

***

GREENWICH VILLAGE

Un samedi après-midi, il s’assied à une table d’un café à l’ambiance conviviale de Greenwich Village. Il commande son petit noir, s’installe, sort cahier et stylo de son sac pour enfin trouver l’inspiration. Il a déjà écrit un roman qu’il n’a pas réussi à faire publier. Sur treize exemplaires de manuscrit envoyés, huit sont passés dans des comités de lecture de maison d’édition. Au total, il a reçu quatre lettres de rejet, des plus belles. Néanmoins, on lui a refusé un rêve. Il en tire les conclusions et décide de fermer le chapitre montréalais. Le Canada l’a déçu. Le monde anglo-saxon lui sera certainement plus favorable.

Il réfléchit à ce que les gens veulent lire. Il faudrait peut-être qu’il écrive du Harry Potter à la fois urbain et érotique afin d’attirer les lectrices. Il est persuadé que les femmes bouquinent plus. Il suffit de regarder dans le métro, ce sont bien elles qui lisent des romans. Les hommes ont moins de patience et se limitent aux journaux ou alors ils matent.  Mais cet après-midi-là, c’est Jonathan qui se fait mater. Un homme à deux tables de la sienne l’observe à plusieurs reprises. Lui aussi écrit. Cherche-t-il de l’inspiration à travers le visage de Jonathan? Un sourire lui échappe. Au bout d’un quart d’heure, il se lève et demande à cet étranger s’il peut surveiller ses affaires le temps qu’il aille aux toilettes. À son retour, ce dernier le questionne :
Vous venez d’où?
– Tout simplement, des toilettes, répond-il avec un clin d’œil.
Je ne connaissais pas ce pays.  
– Comment savez-vous que je ne suis pas d’ici? 
– Un New Yorkais n’abandonnerait jamais ses affaires et ne les confierait à un inconnu.
– Mais vous n’êtes pas un homme comme les autres.
– Ah bon?

– Mon ange gardien.
Mort de rire, je me présente, Gabriel Lopez Dixon. Mais appelez-moi pendant que vous y êtes Ange Gabriel ; un sourire moqueur laisse entrevoir une dentition parfaite et blanche, comme dans les films de Hollywood.

– Jonathan Rosen, mais appelez-moi Jona.
– Vous écrivez ?

– Comme vous et j’y crois. Je peux me joindre à vous.

Ils parlent ensemble durant des heures. De nombreuses traits communs les rapprochent : la quête spirituelle, la croyance au positivisme, l’écriture, l’ambition professionnelle, l’amour de New York et enfin les langues. Tous les deux sont trilingues. Jona parle l’espagnol couramment, ce qui plaît à son interlocuteur car ce dernier, bien que plutôt pâle, est d’origine portoricaine. A l’instar d’une certaine élite new-yorkaise, Gabriel est francophile et francophone. Du moins, il lit la langue de Molière. Elle lui est très utile car dans son travail il doit composer avec de nombreux Français.

Sachez que dans ma boîte, on recherche un profil comme le vôtre, quelqu’un qui soit sociable, entreprenant, charmant, convaincant, imaginatif, trilingue : anglais, espagnol et français, langue maternelle. Impossible de trouver cette perle rare à New York.
– Vraiment, il y en a une tonne au Québec. Vous devriez recruter à partir de Montréal. Des Canadiens comme moi, trilingues, d’origine française, vous en recruterez à la pelle…

– Canadien, vous êtes canadien, vraiment ?
– Oui.
– Intéressant… Cela vous semblera un peu soudain, mais seriez-vous à tout hasard intéressé par ma proposition ? Jonathan sourit, son visage extatique est une réponse.

Ça demande réflexion… Êtes-vous vraiment mon ange ?
– Le destin vous met sur ma route.
Argument irréfutable ! Je vais y réfléchir. L’offre est tentante.
– Vous aimez New York.

– Oui. C’est un peu la nouvelle Rome du XXIe siècle, non ?
Alors, acceptez de rencontrer Angela. Ma boss est une femme d’exception. Elle vous plaira et vous lui plairez, j’en suis sûr.
Ma foi, rien ne m’empêche de la rencontrer.
– Fantastique ! Je l’appelle dès maintenant.

Gabriel sort son cellulaire et compose le numéro. Personne ne répond.
Ah oui, j’oubliais. Elle est partie à Londres pour la fin de semaine. Elle sera de retour dans quelques jours.
Mais en quoi consiste l’emploi que vous me proposez ?

– Que faites-vous demain ?
Rien de particulier.

Vous connaissez Chelsea ? – Pas vraiment.
– On se rencontre demain. Station de métro 28e rue et je vous parlerai de l’entreprise. La discussion allant bon train, ils s’étonnent déjà d’être déjà arrivés à Penn Station. Là, ils s’échangent leur numéro et se quittent.

« Que la vie est belle ! » pense Jonathan en continuant son chemin sur Broadway. La vie n’est que pure magie lorsqu’on reste positif ; partout où il va, il rebondit grâce à une énorme chance. Son portable sonne. Il répond et entend sa belle-sœur qui d’une voix tremblante et paniquée lui demande de rentrer le plus tôt possible.

HOBOKEN, NJ

Lorsqu’il arrive dans l’appart de Hoboken, elle lui annonce qu’elle a perdu Rachel, sa fille, elle est incapable de se souvenir où.
– Comment est-ce possible ?
– Je ne sais pas. J’ai dû m’asseoir sur un banc, mettre la poussette de côté, Rachel s’est endormie et à cause d’un moment d’absence, je suis repartie seule.

Ensemble, Ils décident d’explorer les parcs du quartier et au bout d’une vingtaine de minutes, ils retrouvent Rachel abandonnée dans sa poussette. Sa belle-sœur pleure à chaudes larmes.
– S’il te plaît, ne dis rien à Dave ! Promis ?
– Ok.

– Tu me promets ? Insiste-t-elle.
– Oui.
Logeant chez elle, il n’a pas le choix.

A la nuit tombante, David revient du travail. Il leur demande s’ils ont passé une bonne journée. Jona en fait un récit enthousiaste. Tous pensent qu’il s’agit effectivement d’une opportunité à saisir. La capitale financière et économique tend les bras aux intrépides et aux ambitieux. Ils rassurent Jonathan, il peut s’installer chez eux. Lorsque David s’enquiert de la journée de sa femme, si elle est bien allée voir son psy, Jonathan reste interloqué.
-Tu suis une thérapie ?
Un léger malaise s’installe jusqu’à ce que David révèle que sa femme est parfois en proie à des visions où elle se voit en train d’étrangler son bébé.

Jonathan frissonne et reste coi. Il se lève, s’excuse en disant qu’il a sommeil.

***

SOHO

Le lendemain, il reçoit un texte de Gabriel disant : « rejoins-moi devant la station de la 23e rue (lignes 1, 2, 3) à 14h ». Ils se retrouvent. Son ange protecteur se montre chaleureux, enthousiaste et dynamique toute la journée. Il lui fait visiter le Midtown et le bas de la ville, l’invite à déjeuner et en fin de journée lui offre un cocktail dans un bar où les serveurs sont torse-nu et bien musclés.
– Alors, rêves-tu de vivre ici ?
– J’aimerais beaucoup.
– Il suffit de le demander. Vas-y, répète après moi : “I am in New York, Manhattan is my home”. Ne sois pas timide ou embarrassé, dis-le tout fort !
– Ok. I am in New York, Manhattan is my home.

– Redis-le avec plus de conviction. Les vœux sont exaucés seulement si on y croit. Ferme les yeux, concentre-toi, visualise ton séjour à Manhattan.

Jona ferme les yeux, se voit travaillant, déambulant dans la Grosse Pomme. Gabriel a un large sourire, ses grands yeux noirs brillent.
– Voilà, tu vois, ce n’est pas difficile d’atteindre ses objectifs dans la vie. J’ai parlé à Angela et elle est d’accord pour te rencontrer après-demain.

***

CHELSEA

Deux jours plus tard, Gabriel conduit Jonathan devant les bureaux de New Amsterdam Home sur la 28e rue.
Je dois m’absenter. On se voit demain à Greenwich. Ok ?

Il traverse des bureaux spacieux et lumineux. S’y affairent des gens qui s’expriment en différentes langues. La réceptionniste lui demande de s’asseoir et d’attendre jusqu’à ce que Angela le reçoive. Quelques minutes plus tard, la chargée de l’accueil arrive pour le conduire dans le grand bureau de la présidente.

Angela n’est pas la femme imposante et froide qu’il imaginait. Angela est une grande rousse, un peu ronde, à l’allure chaleureuse, bienveillante et souriante, à la voix très douce.

Le courant passe. Elle lui explique brièvement en quoi son poste consisterait et passe ensuite sur des thèmes de la vie. Ils se rendent compte qu’ils partagent une même philosophie. Ils sont en complète osmose. Trois heures passent sans qu’ils s’en aperçoivent.

Elle finit la conversation en lui demandant :
– Vous pouvez commencer la semaine prochaine ?
– Je n’ai pas de permis de travail.

– Ce n’est pas un problème. Notre avocat se chargera des démarches. À lundi prochain donc, à 10h. Je vous présenterai à votre équipe.

A ce moment précis, Jonathan ne sait plus s’il vit la réalité ou un songe. La vie serait-elle aussi facile ? Suffirait-il de croire pour y arriver ? En sortant, il décide de marcher. L’euphorie le gagne, le propulse dans une bulle d’ivresse. Il n’entend même plus les bruits de la rue. Il se sent léger et heureux. Il réalise enfin son rêve, celui de vivre dans la mégapole la plus excitante du monde. La rencontre de Gabriel fut vraiment inespérée !

***

One thought on “New York, été 2005

  1. jacques says:

    Eh bè ! Un vrai plaisir !

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