Du jeudi 13 août au mardi 18 août 2015
SOFIA, BULGARIE
Comme d’habitude, Atanas lui a réservé un billet d’avion via Istanbul. A son arrivée à l’aéroport de Sofia, il l’attend en compagnie de Ruben et de Maya. A sa surprise, ses enfants sont châtains et non bruns comme lui. Ruben est grand, teint mat, yeux verts et Maya est plus petite, elle a les yeux noirs de son père mais ses longs cheveux ondulés châtain clair lui donnent plus une apparence slave que rom.
Atanas vient vers lui et lui fait une grande et longue accolade. Il l’entraîne ensuite vers ses enfants :
– Voici mon fiston, Ruben, un grand peintre en devenir.
– Arrête Papa ! Enchanté Taras.
– Здравей [14]! Répond-il maladroitement.
– Et voici la belle Maya.
– Oui, c’est vrai, qu’elle est jolie… Мая! Как си [15]?
– Ça va bien, merci, réplique-t-elle à sa question.
– Tu as fait des progrès en bulgare Taras, s’étonne Atanas.
– N’est-ce pas ? Mais rien d’impressionnant.
Sans qu’il puisse l’expliquer, Taras est pris d’une forte émotion, comme s’il retrouvait les siens après de nombreuses années d’absence.
Très vite, l’ambiance se détend grâce aux taquineries d’Atanas. Le soir, ils vont dîner au même restaurant où ils sont allés le deuxième jour de leur rencontre. Pour se détendre Taras laisse volontiers son verre se remplir de vin. Comme la dernière fois, ils finissent par danser au son de la musique bulgare et tsigane. Ils rient, ils chantent et s’étreignent.
Au retour, ils décident de traverser le bois à pied sous le crépuscule. Ruben sort une petite lampe de poche. Sur leur parcours, ils rencontrent des meutes de chiens qui les ignorent malgré leurs aboiements. Ces moments dans la forêt ont un effet magique et grisant sur Taras. Il n’a plus l’impression de vivre la réalité, il s’étonne de vivre un tel bonheur. Enfin, ils prennent un vieux tram pour regagner le centre-ville où Atanas a loué un grand appart. A l’intérieur, ils passent le reste de la soirée à jouer au poker. Atanas distribue 100 Euros à chacun, en coupures de 5 Euros, argent qu’il récupère entièrement à la fin de la soirée puisqu’il a tout emporté. Personne n’arrive à le battre. Les enfants l’accusent de tricherie mais Atanas ne veut pas révéler son secret.
A deux heures du matin, chacun gagne sa chambre. Taras s’allonge sur son lit et s’endort. Il aurait aimé se retrouver avec Atanas mais il comprend que la situation est délicate. Il s’endort très vite. Une heure plus tard, Atanas rentre discrètement dans sa chambre et s’avance vers Taras, il se penche vers lui. Taras grogne. Il respire fort. Son rythme cardiaque s’accèlère. Atanas touche son épaule. Il murmure « Taras, c’est moi ». Taras pousse un cri de peur. Il hurle.
– Non, laissez-moi !
– Taras, qu’est-ce qui te prend ?
– C’est à cause de toi. Laissez-moi, laissez-moi partir. Je ne suis pas... Taras fait un bond et se lève du lit pour se réfugier derrière le bureau de la chambre, accroupi, les yeux grands ouverts.
Le cri de Taras a réveillé Maya qui arrive dans la chambre.
– Que se passe-t-il Papa ?
– Rien ma chérie, c’est Taras qui a fait un cauchemar.
Il se dirige vers lui.
– Taras, tu es à Sofia, en Bulgarie. Tu es en sécurité ici.
– Ma chérie, va te recoucher. Je vais rester avec Taras.
– Il a l’air terrorisé.
– Oui, il y a la guerre dans son pays. Taras a cru probablement qu’on allait le tuer. Je vais rester auprès de lui pour le tranquilliser.
– D’accord. Bonne nuit Papa.
– Bonne nuit ma chérie.
Il s’accroupit et prend Taras dans les bras.
– Tu as fait un mauvais rêve, n’est-ce pas ?
– Des soldats essayaient de me tuer.
– Ce n’est rien mon ami. Je suis là. Viens t’allonger. Je vais rester avec toi. Tu n’as plus rien à craindre maintenant.
Ils passent la nuit ainsi, enlacés, Atanas calmant Taras. Les autres nuits, Taras garde les yeux ouverts jusqu’à l’arrivée de son ami, évitant ainsi la peur de sursauter en pleine nuit. Sans doute parce que les enfants sont présents dans le logement, Atanas et Taras sont moins fougueux. Cette fois-ci, ils sont pleins de tendresse. C’est une nouvelle dimension érotique qui s’ouvre à Taras. Que ce soit avec des femmes ou des hommes, ses rapports sexuels se limitaient auparavant aux actes essentiels et voilà qu’avec ce tsigane, il explore des jeux érotiques faits de cajoleries. Il ne savait pas qu’on pouvait avoir autant de plaisir avec de simples caresses sur le haut des cuisses, sur le cou, sur la poitrine, des baisers sur les pieds, les tétons et les aisselles et les oreilles. Il découvre qu’on peut jouir sans éjaculer. Atanas lui dit :
– Tu sais en français, on dit ‘faire l’amour’ lorsqu’on a des rapports sexuels.
– C’est vrai ?
– Que cette expression est jolie ! En russe, les expressions sont plutôt grossières. Il n’y a pas de beauté lexicale pour qualifier l’acte sexuel.
– Oui, mais n’oublie pour autant que les Français ont donné naissance au Marquis de Sade, fait remarquer Atanas en rigolant et en lui giflant la fesse gauche.
Un peu plus tard…
– Qu’est-ce que j’aurais aimé être né du bon côté du Rideau de fer ! Mon grand malheur est d’être né en Union soviétique.
Atanas lui glisse à l’oreille :
– On a dit qu’on ne mentionnerait pas notre passé Taras.
– Tu l’as dit, pas moi.
– Je n’ai pas envie de l’entendre.
– Tu connais Paris ?
– Oui, nous les Roms, nous sommes partout grâce à l’Union européenne. Paris est une très belle ville, comme Rome, Venise, Vienne, Barcelone et Prague. C’est magique surtout le soir.
– Que fais-tu exactement dans la vie, Atanas ? Je sais que tu ne veux pas qu’on parle du travail ni de notre passé, mais j’aimerais te connaître un peu plus…
– Ah, tu veux briser le mystère qui est pourtant si exaltant.
– Juste quelques indices.
– Bon, je loue des manèges.
– Tu as fait des études ?
– Décidément, tu es bien curieux… A ton avis, si je connais le Marquis de Sade ?
– Tu as lu au moins !
– Oui, je lis et j’ai fait des études, figure-toi. Notre communauté change. Elle s’instruit. Par exemple, Ruben souhaiterait étudier en histoire de l’art, quant à Maya, elle aimerait devenir avocate en Autriche. Et toi, tu as fait des études ?
– Oui, je ne te l’ai pas dit ? J’ai étudié le génie civil à Saint-Pétersbourg. J’ai détesté. Les cours étaient nuls et le climat était si merdique. Chaud et humide l’été et sombre et froid pendant 9 mois.
– Assez du passé Taras. Dors, demain, nous partons à Rila.
***
RILA, BULGARIE
Du mercredi 19 août au vendredi 21 août 2015
Arrivés à destination, tous vêtus de blancs, ils admirent ce paysage montagneux avec ses 7 lacs. La paneurythmie comporte 3 étapes : les 28 Exercices, les Rayons du Soleil et enfin le Pentacle. En cette année de 2015, il y a au moins 2000 participants tous habillés en blanc et ensemble ils exercent à l’aide de pas synchronisés des formes magnifiques vues du ciel. Ces signes célestes constituent un chemin de l’âme humaine vers la perfection. Ce n’est qu’au bout de 3 heures sur les lieux que Taras aperçoit Stella. Il lui fait signe. Elle vient vers eux. Il ne l’avait jamais vue tout en blanc. En général, elle s’habille en noir et en rouge ; le rouge tranche avec ses longs cheveux noirs et accentue sa beauté, son charisme et son magnétisme. Mais aujourd’hui, elle a choisi un ensemble, jupe et chemisier en lin, et un joli chapeau capeline blanc. Elle porte aussi des lentilles d’un bleu intense. A l’ukrainienne, ils se saluent sans s’embrasser.
– Привет Тарас! Как дела [16]?
– Privet Stella. Ça va bien. Et toi ?
– Ça ne pourrait aller mieux ! Tu as vu ce cadre magnifique ! Quel endroit merveilleux!
– Dis-donc, tu es bien accompagné ! Tu ne me présentes pas ?
– Si, bien sûr. Je te présente Atanas que tu as rencontré il y a deux ans.
– Oui, je me souviens.
– Et voici mes deux enfants.
– Oups, lapsus… remarque Atanas en rigolant.
Taras rougit.
– Pardon, je rectifie : ses deux enfants.
Elle les observe de haut en bas puis de bas en haut et sourit.
– Ruben et Maya, n’est-ce pas ? Enchantée. Moi, c’est Stella.
– Ben ça, alors… Comment connais-tu leurs prénoms ? L’interroge Taras, stupéfait.
– On peut lire leur prénom sur leur gourmette. Il faut prêter attention aux détails, Taras, dit-elle sur un ton enjoué.
– Tu m’épates Stella. Ruben et Maya habitent à Vienne.
Puis Taras se tourne vers les enfants et dit :
– Vous savez que Stella est installée à Berlin.
– Wow ! Ich liebe Berlin [17], declare Ruben.
Stella fait un clin d’œil à Taras et emmène les enfants faire un tour avec elle et converse en allemand avec eux, ce qui laisse Taras et Atanas seuls pour un temps.
– Chouette journée, non ?
– Oui, superbe et en plus en famille.
– Je fais partie de la famille ?
– Oui, dans une certaine mesure.
– J’aimerais qu’on puisse vivre ensemble, Atanas.
Atanas se tait.
– Deux ans maintenant Atanas ! Deux ans de bonheur, mais aussi d’impatience et de frustration.-
– Taras, on ne peut pas posséder le temps malheureusement. C’est l’instant qui compte.
– Certes ! mais je rêve de construire un avenir en Europe avec toi et avec tes enfants aussi.
– Je suis là mon trésor mais hélas tout ne dépend pas entièrement de moi. Si tu n’abandonnes pas ce désir, tu seras malheureux.
– Que veux-tu dire par là ?
– J’ai déjà une famille Taras. Et chez nous, la famille, c’est le clan. Mes enfants t’adorent, mais le clan ne t’acceptera jamais. Dans notre culture, on ne quitte pas le groupe dans lequel on naît. Ainsi est-ce mon destin ! Je m’y plie malgré l’amour profond que je ressens pour toi. En quelque sorte, je suis un Alexandre le Grand moderne. Je suis marié officiellement à une femme, c’est la culture orientale, mais je vis parallèlement un grand amour charnel avec un homme, l’héritage grec, le côté occidental.
Cette phrase a l’effet d’un couperet. Alors qu’il était prêt à faire le grand pas et vivre avec un homme, voilà il se prend un râteau. Il ne peut imaginer sa vie sans lui. Son visage se crispe et ses yeux deviennent humides.
Face à ce début de tension, Atanas le prend par l’épaule et lui murmure :
– Cependant, sache que tant que je serai vivant, je serai toujours là pour te voir. Allons, Taras, apprécions ces trois jours de cohésion et d’harmonie entre nous tous.
Stella revient avec les enfants. Elle dit tout fort que Ruben et Maya sont adorables : « ils ont l’esprit vif et aventurier de leur père et la douceur de mon ami Taras ». À l’écoute de cette phrase, ce dernier fait un effort pour dissimuler sa déception. Cette désillusion le quitte progressivement au fil de la journée et le soir, lorsqu’il partage la tente avec Atanas, tout est oublié. Le lendemain, son humeur se stabilise avec les pas des Rayons de Soleil : il se laisse emporter par la gaité du groupe. Quant au troisième jour, en participant à la cérémonie du Pentacle, il se sent même en harmonie avec l’univers et avec son destin. Il comprend en sorte ce qui l’attend : aimer Atanas sans jamais le posséder, désirer sans attache. Il faut désormais qu’il pense à son avenir tout en essayant de voir son Tsigane de temps à autre.
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