Instabilité en Normandie au XVe siècle
À la veille de la trêve anglo-française de 1444, la situation précaire en Normandie est due à de multiples raisons : l’Angleterre n’a plus d’alliés sûrs en France, les communications maritimes deviennent incertaines, les villes normandes sont mal ravitaillées et subissent de nombreux ravages. Quant à la population normande, elle est de plus en plus nombreuse à émigrer ou à adhérer à la cause des Valois. Dans ce contexte, la trêve signée entre Charles VII et Henry VI apporte espoir et répit au régime lancastrien en France et à la population, notamment grâce à la possibilité de cultiver à nouveau les champs et de reprendre le commerce entre la France, la Normandie, le duché de Bretagne et l’Angleterre ; cependant, imposer un climat de paix dans des contrées habituées à la guérilla n’est pas une mince affaire.
Alors que Charles VII se livre à une autre guerre en Allemagne et qu’une armée française permanente est mise sur pied par le connétable Richemont (oncle du duc de Bretagne, François 1er), les Anglais, eux, sont en train de démilitariser puisqu’ils n’ont plus les moyens financiers nécessaires à l’entretien d’une grande armée d’occupation. En août 1445, Richard d’York renvoie en Angleterre une partie des troupes qui passaient leur temps à se livrer au pillage en Basse-Normandie. Il faut dire que la plupart des soldats se sont retrouvés sans solde. Pour assurer la paix et stabiliser la Normandie, York doit constituer des garnisons dans les villes du duché normand afin d’y incorporer les militaires anglais restés en France. Cette initiative est coûteuse car il faut entretenir et payer ces nouvelles garnisons inactives, ce qui fragilise l’état des finances de la couronne et alourdit le poids fiscal sur les populations locales.[1]
Toutes ces mesures se révèlent à la longue insuffisantes et elles n’empêchent guère les soldats et mercenaires de se livrer aux rapines dans les régions de l’ouest de la France.[2] Par ailleurs, les escarmouches et attaques entre Anglais et Français restent régulières. À titre d’exemple, les troupes de François Surienne, mercenaire à la solde des Anglais, sèment la terreur dans tout le pays à un tel point qu’Henry VI doit verser une solde à quatre-vingts de ces redoutables guerriers-bandits pour que la trêve soit respectée.[3] Hélas, ces précautions ne suffisent pas et en 1448 la population de Basse-Normandie finit par se révolter contre l’autorité anglaise incapable de réduire le banditisme et la lourdeur fiscale.[4]
Henry VI, roi très pieux, tient absolument à conclure une paix définitive avec la France. Pour accélérer les négociations et prouver sa bonne foi, il promet à son oncle, Charles VII de lui restituer le Maine. Cet engagement est une erreur stratégique car d’une part, il supprime la zone tampon qui apporte un minimum de sécurité en Basse-Normandie et dans le Cotentin et d’autre part, il accroît la dépendance normande envers le duché de Bretagne. Or le duc François 1er n’est plus l’allié sur lequel les Anglais comptaient et les Français ne sont pas plus disposés à céder leurs droits sur la Normandie même s’ils récupèrent le Maine.
En effet, il est illusoire de croire à une paix avec la France tant que le contentieux sur les terres confisquées aux Normands par les Anglais n’est pas réglé. L’Édit de Compiègne promulgué par Charles VII en 1429 limite la marge de manœuvre du roi de France qui a promis de satisfaire les attentes des expropriés. En novembre 1441, il réaffirme son intention de récupérer les territoires perdus en annonçant que les Normands qui collaborent avec le régime Lancastre ne seront pas jugés coupables de trahison puisqu’ils sont gouvernés contre leur gré par des envahisseurs.[5] En ce sens, si Henry VI veut une paix définitive, il devra offrir de fortes compensations financières aux colons anglais occupant les seigneuries qui seraient restituées aux anciens propriétaires français. Il est évident que ces Anglais, qui dans certains cas sont déjà installés en Normandie depuis trente ans, ne se laisseront pas déposséder facilement.[6] Par ailleurs, il n’est pas dit qu’une Normandie anglaise peuplée d’une noblesse et d’une bourgeoisie franco-normande soit viable.
Notes de l’auteur
[1] Bossuat, A. Perrinet Gressart et François de Surienne, agents d’Angleterre. Paris, E. Droz, 1936. 270 & 301-302. En automne 1446, le Gouvernement de Rouen requiert 80.000 livres tournois aux États de Normandie afin de pouvoir payer les soldats anglais pour une période de six mois. Les États lui consentent seulement 30.000 livres. En1447, le conseil se voit accorder avec répugnance 40,000 livres au lieu des 100.000 livres demandées ; mécontent, il en exige 10.000 livres de plus. Allmand, C. Lancastrian Normandy 1415-1450. Oxford, 1983, 185. Sur la baisse des revenus de la Couronne, voir R.H. Britnell, « The Economic Context », in Pollard. A.J. (dir.), The War of the Roses, 1995, 60-61.
[2] York met en place des Commissions of reform pour tenter de trouver une solution au problème militaire. Finalement, l’historien Allmand conclut que le duc d’York en fait très peu pour régler la question militaire en Normandie. Allmand (1983), 199-201 & 209. Bien que Johnson reconnaisse que Richard d’York laisse la Normandie plus ou moins dans l’état dans lequel il l’a trouvée, il estime cependant que le premier mandat du duc comme gouverneur fut honorable dans son ensemble. York a rétabli un certain ordre dans la vie intérieure de la colonie et il a favorisé le commerce. Quant à la situation militaire, York fut plutôt la victime de la politique indécise d’Henry VI. Johnson, P.A., Duke Richard of York, 1411-1460. Oxford, 1988, 28-50.
[3] Les troupes de Surienne sont tristement célèbres sous le nom des « Faux-visages ». Bossuat, 304-307.
[4] Révolte menée par Roger Lord Camoys. Ibid., 317. Camoys arrive en Normandie en juillet 1432 et épouse quelques années plus tard une noble normande, Isabelle de Beaumoy. En juillet 1453, il est nommé sénéchal de Guyenne. En juillet 1455, ses titres et ses biens sont confisqués et donnés à Salisbury. Gibbs (édit.), The Complete Peerage of England, Scotland, Ireland, Great Britain and United-Kingdom. Vol. ii, Londres, The St Catherine Press, 1912, 511-512.
[5] Charles VII écrit : « A nobis alienatos et in hostili manu detentos ». Allmand (1983), 287.
[6] Les premières compensations financières demandées par les colons anglais datent de 1439. Allmand, C. « The Lancastrian land settlement in Normandy, 1417-50 ». Economic History Review, 2nd ser., 21 (1968), 478-479.
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