LA BRETAGNE DANS LE GIRON FRANÇAIS

La Bretagne en état de dépendance envers la France

La Bretagne se retrouve désormais dans une situation délicate, celle de demander l’intervention de la France à ses côtés pour bouter les Anglais hors du duché. Une telle demande rappelle les Valois à leurs obligations suzeraines envers les Bretons ; mais cette réclamation met les Montfort dans une situation embarrassante, celle d’une dépendance redoutée par cette dynastie tout au long de son histoire. Cette requête du faible François 1er se retournera plus tard contre les intérêts des deux derniers souverains bretons, François II et Anne de Bretagne.  Bossuat cite l’exemple de Louis XI qui signera en 1463 la trêve franco-anglaise d’Hesdin dans laquelle la Bretagne sera comprise mais cette fois-ci sans la nommer explicitement.[27]

Il est probable que les Français se réjouissent de voir le duché rebelle en position de faiblesse et d’assister enfin à un début d’alignement des Montfort sur la politique royale. Le dessein de mettre la Bretagne au pas pourrait expliquer la curieuse politique de non-intervention des Français auprès des Anglais au sujet de la prise de Fougères. Jusqu’en mai 1449, les ambassadeurs de Charles VII n’émettent ni protestation ni demande d’explication auprès des Lancastre.[28] Il est tout à fait possible qu’ils aient attendu un isolement breton complet face à la menace anglaise en vue de négocier en position de force dans de futurs accords franco-bretons.

Coalition militaire franco-bretonne

Ce n’est qu’en mai 1449 que la France intervient dans la dispute qui oppose la Bretagne et l’Angleterre. Le roi remplit finalement ses obligations en envoyant des ambassadeurs auprès de Henry VI et d’Edmund Beaufort afin de régler le différend. Mais « le roy d’Angleterre & le duc de Sommerset tous deux désavouerent l’Aragonnois de ce qu’il avoit fait : si estoit il certain, que c’estoit de leur commandement & volonté mais ils ne firent autre response ».[29] Le 9 mai, face à cette politique de non-coopération les Lancastre, les Français et les Bretons prennent en représailles la ville de Pont de l’Arche en Normandie[30] en échange de Fougères. Remontés, les Anglais refusent catégoriquement ce troc et considèrent la prise de Pont de l’Arche comme une atteinte à la trêve alors que le sac de Fougères ne l’était pas pour les raisons que nous avons vues plus haut.[31]

A la suite des échecs des conférences de Bon-Port et de Louviers, Charles VII fixe un ultimatum au duc de Somerset. Si « Foulgeres ne seroit rendue dans la fin de Juillet lors ensuivant, le Roy declareroit la guerre ouverte au Roy d’Angleterre ».[32] Entre-temps, fort de sa position politique et du poids de ses armées, il presse François 1er de signer une alliance militaire défensive et offensive contre les Anglais. Ainsi est signé le traité franco-breton[33] à Rennes le 27 juin. Il s’agit d’un accord qui ne se contente pas de bouter les Anglais hors de Fougères, il veut aussi expulser les Lancastre hors du royaume de France.[34] Le 31 juillet 1449, constatant l’inertie de l’Angleterre quant à la restitution de la ville de Fougères, Français et Bretons déclarent la guerre à Henry VI.

Nous savons que les Anglais ont fait preuve de mauvaise volonté dans les négociations franco-anglaises. Mais qu’en est-il du côté des Valois ? A cette question, les réponses de Bossuat et de Bourdeaut sont nuancées. Selon le premier, les Français sont désireux de paix puisque leur tentative de résoudre la crise par la voie diplomatique prouve leur bonne foi et leur attachement à la trêve.[35] Bossuat rejoint ici l’opinion émise par l’historiographe officiel de Charles VII, Jean Chartier.[36] Tandis que pour Bourdeaut, les Français cherchent à gagner du temps en faisant traîner les négociations pour mieux se préparer à la guerre. Ils attendent l’occasion propice pour recouvrer tous leurs territoires perdus sous le règne de Charles VI et conquérir le vieux fiel anglais de Guyenne.[37] Vale l’encense et conclut que les prétentions anglaises sur la suzeraineté de la Bretagne servent d’outrage suffisamment grave pour que Charles VII rompe opportunément la trêve.[38]

La restitution de Fougères aux Bretons

La ville de Fougères est assiégée pendant plusieurs semaines par des troupes franco-bretonnes sous le commandement du frère du duc François 1er, Pierre de Bretagne.[39] La ville est délivrée sans combat mais elle l’est bien après la libération de nombreuses villes normandes, dont celle de Rouen. Le 4 novembre 1449, Surienne résigné, isolé et déçu par le manque de renforts se rend au duc de Bretagne et au connétable de Richemont après négociations.[40] Il devra la vie sauve aux lettres d’Henry VI qu’il possède, ces lettres prouvent qu’il agissait aux ordres du roi d’Angleterre.[41] Par contre, lorsque l’Aragonais plaidera auprès de Charles VII le retour de ses biens confisqués en France, le roi refusera de lui pardonner bien que le roi d’Aragon, Alphonse V, ait plaidé en sa faveur. Selon l’historien Kirkland, Charles VII et ses conseillers, considérant Surienne comme un ennemi de la France, montrent les premiers signes d’une conscience nationale.[42]

François de Surienne n’a pas eu plus de succès auprès des Anglais. Certes, il a reçu un léger renfort matériel de Talbot mais n’a pas obtenu l’appui en hommes d’armes contrairement à ce qui avait été convenu avant la prise de la ville.[43] De plus, de nombreux soldats anglais, rappelés par leur capitaine en Normandie, ont abandonné Fougères pour rejoindre leurs garnissons normandes menacées par les Français.[44] Face aux défaites anglaises répétitives, les dirigeants et les militaires anglais ne tardent pas à accuser Surienne d’être le responsable du déclenchement de la guerre, faisant de l’Aragonais le premier bouc-émissaire de la débâcle lancastrienne.

Pourtant, Surienne ne se laissera pas faire et dans une lettre à Henry VI, il accusera Suffolk et Somerset d’être les véritables coupables du désastre de Fougères.[45] Finalement, le mercenaire n’aura pas d’autre choix que celui de négocier la restitution de la ville bretonne avec les Français et les Bretons ainsi que son retour dans son pays d’origine : l’Aragon.[46]

Notes de l’auteur

[27] Bossuat, 331.
[28] Le duc de Bretagne demande l’aide de la France le 10 avril 1449. Or dans les négociations anglo-françaises qui ont lieu un peu plus tard dans le même mois, il semble, d’après les documents officiels conservés, que les Français ne fassent aucune protestation concernant l’affaire de Fougères. Ibid., 324 & 327.
[29] Argentré (1668), 924.
[30] Chartier, ii, 69-72 ; Escouchy, i, 159-167 ; Griffiths (1981), 513.
[31] Les Français prennent aussi aux Anglais les villes de Conches et de Gerberoy. In Stevenson (1863), 425-426 (= Morice, ii, 1477)
[32] Argentré (1668), 926.
[33] Morice, ii, 1451-1454 & 1508. Traité conclut le 17 juin et confirmé par Charles VII le 26 juin. Bossuat, 332.
[34] Le chroniqueur Jehan Waurin écrit à ce propos ceci : « le roi envoya Dunois, batard d’Orléans, en Bretagne pour prendre et recpvoir les sermens, pour luy et en son nom, dudit duc de Bretagne et des Barons et autres seigneurs de son pays, comment ilz serviroient le Roy bien et loyaument autant que la guerre dureroit, en cas quil se metteroit en armes pour les ayder et secourir a lencontre des annemis anchiens du Royaulme, laquele chose promisrent de ainsi faire ledit duc et ses barons… ». In Jean de Waurin, Recueil des Chroniques et Anchiennes Istories de la Grant Bretaigne, a present nomme Engleterre. William Hardy & Edeard L.C.P. Hardy (éd.), Londres, H.M.S.O.., 1891, t. 5, 122.
[35] Bossuat, 332.
[36] Chartier, ii, 60-65.
[37] Bourdeaut, 111.
[38] M.G.A. Vale. Charles VII. Berkeley & Los Angeles, University of California Press, 1974, 116-118.
[39] Surienne, par faute de renforts anglais, se rend au bout de cinq semaines de siège. Il ne lui reste alors que 400 hommes alors qu’il aurait estimé à 1000 soldats le nombre nécessaire pour pouvoir sauvegarder la ville. Stevenson (1861), i, 293-295.
[40] Argentré (1668), 929-933. Par ailleurs, une épidémie de peste dans la région fougeraise hâte les partis à négocier [Blondel, 143 ; Charlier, ii, 204], in Bossuat, 234.
[41] Surienne reçoit la somme de 10.000 écus en échanges de son départ de Fougères [Blondel, 444 ; Chartier, ii, 163], in Bossuat, 345.
[42] Kirkland, 264-265.
[43] Stevenson (1861), i, 295 ; Bassin-Quicherat (dépostion de Pierre Tuvache), iv, 307 ; Bossuat, 337-339 ; Kirkland, 64.
[44] Stevenson (1861), i, 291.
[45] Ibid., 296-297. Par ailleurs, Surienne renvoie au roi son ordre de la Jarretière en guise de protestation.
[46] Bossuat, 351.

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Pierre Scordia




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